Ce 27 janvier 2025, 80e anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz, une cérémonie se déroulait devant le mémorial aux enfants juifs arrêtés dans les Landes et assassinés, pour la plupart, à Auschwitz-Birkenau.


Des élèves du lycée Duruy, engagés dans un travail d’Histoire et de mémoire avec leurs enseignants, ont lu des textes portant sur le contexte historique de ce camp et centre de mise à mort, ainsi que des témoignages de survivants, dont celui d’Esther Senot, qui avait passé la ligne de démarcation à Mont-de-Marsan et était venue témoigner devant les élèves de Mont-de-Marsan. Puis c’était un poème émouvant de Charlotte Delbo. La cérémonie se terminait par le Chant des Marais, entonné par des élèves de primaire.
Les textes :
Rappel historique :
Si c’est le 22 juillet 1944 que les armées soviétiques, progressant vers l’ouest, découvrent le premier centre de mise à mort nazi de Majdanek-Lublin dans l’est de Pologne, ce n’est que le 5 mai 1945 que le dernier camp de concentration, celui de Mauthausen, est libéré par les troupes américaines.
Auschwitz est l’un de ces lieux emblématiques de la Seconde Guerre mondiale, il en illustre l’un des plus sombres aspects, celui du génocide des deux-tiers de la population juive d’Europe. Entamé à l’été 1941 en U.R.S.S. par des opérations de tuerie de masse, il prend une dimension systématique et « industrielle » à la fin de cette même année. C’est la Conférence de Wannsee, présidée par Heydrich (chef suprême de la S.S.), en présence d’Eichmann, et qui se tient le 20 janvier 1942 dans une charmante villa au bord d’un lac de la banlieue chic de Berlin, qui planifie et organise de la manière la plus efficace possible la déportation et l’assassinat de 6 millions d’hommes, de femmes et d’enfants, venus de toute l’Europe.
Auschwitz est un immense camp de concentration qui compte jusqu’à plus de 100.000 détenus réduits en esclavage, mais aussi un des 6 centres de mise à mort établis par les Nazis en 1942, où ont été assassinées dans des chambres à gaz plus d’un million de personnes : un million de Juifs, mais aussi 70.000 Polonais non-juifs, 21.000 Tziganes et 15.000 prisonniers de guerre soviétiques. Ainsi, entre mars 1942 et octobre 1944, un Juif sur 6 exterminés pendant la Seconde Guerre mondiale l’a été à Auschwitz. Parmi eux 70.000 environ venaient de France (dont environ 200 avaient été arrêtés dans les Landes).
A la fin de l’année 1944, face à l’avancée des troupes soviétiques, Auschwitz commence à être évacué par les S.S. vers les camps de concentration de l’ouest du Reich, dans ce qui est appelé les « Marches de la mort ». Le froid, la faim, la soif, l’épuisement, les coups de S.S., le surpeuplement des camps de destination, les épidémies entraînent une terrible mortalité.
Le 27 janvier 1945, le camp, presque vidé de ses occupants, est libéré « par hasard » par l’Armée Rouge. Le monde peine alors à prendre conscience de l’ampleur et du caractère inédit de ce qui s’est passé à Auschwitz, et il faudra plusieurs décennies avant la reconnaissance du rôle central de cet immense « usine de mort ».
Témoignages :
Esther Senot (qui avait franchi la ligne de démarcation à Mont-de-Marsan) est arrêtée à Paris en juillet 1943. Alors âgée de 15 ans, elle fait partie du 59e convoi parti le 2 septembre 1943 à destination d’Auschwitz-Birkenau. Un trajet de trois jours particulièrement atroce à vivre.
« Les bébés hurlaient, les personnes âgées tombaient par terre. Nos besoins s’étaient répandus dans le wagon. On s’est pris des coups de matraque pour nous faire descendre des wagons ».
Simone Veil, déportée en juillet 1944, témoigne également : « Le convoi s’est immobilisé en pleine nuit. Avant même l’ouverture des portes, nous avons été assaillis par les cris des SS et les aboiements des chiens. Puis les projecteurs aveuglants, la rampe de débarquement, la scène avait un caractère irréel. On nous arrachait à l’horreur du voyage pour nous précipiter en plein cauchemar. Nous étions au terme du périple, le camp d’Auschwitz-Birkenau.
Nous étions accueillis par des bagnards que nous avons aussitôt identifiés comme des déportés français. Ils se tenaient sur le quai en répétant : ‘Laissez vos bagages dans les wagons, mettez-vous en file, avancez’. Après quelques secondes d’hésitation, tout le monde s’exécutait. […] Vite, vite, il fallait faire vite. Soudain, j’ai entendu à mon oreille une voix inconnue me demander : ‘Quel âge as-tu ?’ A ma réponse, 16 ans et demi, a succédé une consigne : ‘Surtout dis bien que tu en as 18’.
La file est arrivée devant les SS qui opéraient la sélection avec la même rapidité. Certains disaient : ‘Si vous êtes fatigués, si vous n’avez pas envie de marcher, montez dans les camions’. Nous avons répondu : ‘Non, on préfère se dégourdir les jambes’. Beaucoup de personnes acceptaient ce qu’elles croyaient être une marque de sollicitude, surtout les femmes avec des enfants en bas âge. Dès qu’un camion était plein, il démarrait. Quand un SS m’a demandé mon âge, j’ai spontanément répondu : ‘18 ans’.
Nous avons marché avec les autres femmes, celles de la ‘bonne’ file, jusqu’à un bâtiment éloigné, en béton, muni d’une seule fenêtre, où nous attendaient les kapos ; des brutes, même si c’étaient des déportées comme nous, et pas des SS. Elles hurlaient leurs ordres avec une telle agressivité que, tout de suite, nous nous sommes demandé : ‘Qu’est-ce qui se passe ici ?’ Elles nous pressaient sans ménagements : ‘Donnez-nous tout ce que vous avez, parce que de toute façon, vous ne garderez rien’. Nous avons tout donné, bijoux, montres, alliances. Avec nous se trouvait une amie de Nice arrêtée le même jour que moi. Elle conservait sur elle un petit flacon de parfum de Lanvin. Elle m’a dit : ‘On va nous le prendre. Mais moi je ne veux pas le donner, mon parfum’. Alors, à trois ou quatre filles, nous nous sommes aspergées de parfum ; notre dernier geste d’adolescentes coquettes.
Celles qui avaient été séparées des leurs commençaient à s’inquiéter, se demandant où étaient passés leurs parents ou leurs enfants. Je me souviens qu’aux questions que certaines posaient les kapos montraient par la fenêtre la cheminée des crématoires et la fumée qui s’en échappait. Nous ne comprenions pas ; nous ne pouvions pas comprendre. Ce qui était en train de se produire à quelques dizaines de mètres de nous était si inimaginable que notre esprit était incapable de l’admettre. Dehors, la cheminée des crématoires fumait sans cesse. Une odeur épouvantable se répandait partout. Nous n’avons pas dormi cette nuit-là. »
Esther Senot est quant à elle assignée au bloc 27 avec 600 autres personnes. « On nous a déshabillées, on nous a rasées et ils nous ont tatoué un numéro. On n’avait officiellement plus d’identité, on ne pouvait plus prononcer notre nom. Il fallait qu’on apprenne notre matricule en allemand et polonais. Dans ces conditions-là, on apprend vite ».
Dans son récit sur les derniers jours à Auschwitz, l’écrivain italien Primo Levi décrit la situation qui régnait à l’arrivée des libérateurs en ces termes : « Nous nous trouvions dans un monde de morts et de larves. Autour de nous et en nous, toute trace de civilisation, si minime soit-elle, avait disparu. L’œuvre de transformation des humains en simples animaux initiée par les Allemands triomphants avait été accomplie par les Allemands vaincus.
La première patrouille russe arriva en vue du camp vers midi, le 27 janvier 1945. Charles et moi la découvrîmes avant les autres ; Nous transportions à la fosse commune le corps de Somogyi, le premier mort de notre chambrée. Nous déposâmes le contenu de la civière sur la neige souillée car la fosse commune était pleine et on ne donnait pas d’autre sépulture : Charles enleva son bonnet pour saluer les vivants et les morts.
C’était quatre jeunes soldats à cheval qui avançaient avec précaution, la mitraillette aux côtés, le long de la route qui bornait le camp. Lorsqu’ils arrivèrent près des barbelés, ils s’arrêtèrent pour regarder, en échangeant quelques mots brefs et timides et en jetant des regards lourds d’un étrange embarras sur les cadavres en désordre, les baraquements disloqués et sur nous, rares survivants. Ils nous semblaient étonnamment charnels et concrets, suspendus (la route était plus haute que le camp) sur leurs énormes chevaux, entre le gris de la neige et le gris du ciel, immobiles sous les rafales d’un vent humide, annonciateur de dégel.
Il nous paraissait, à juste titre, que le néant plein de mort dans lequel nous tournoyions depuis dix jours comme des astres avait trouvé un point fixe, un noyau de condensation : quatre hommes armés, mais pas contre nous, quatre messagers de paix aux visages rudes et puérils sous leurs pesants casques de fourrure.
Ils ne nous saluaient pas, ils ne nous souriaient pas ; à leur pitié semblait s’ajouter un sentiment confus de gêne qui les oppressait, les rendait muets et enchaînait leur regard à ce spectacle funèbre.
Après deux ans de camp et de travaux forcés parfois dans un froid glacial, Esther Senot participe à la marche de la mort de janvier 1945. « On a marché jour et nuit pendant trois jours. Ceux qui sortaient des rangs prenaient une balle dans la tête. On a fini dans un wagon à bestiaux découvert, à -20°C, -25°C de température avec de la neige. » Peu de personnes sont arrivées à Bergen-Belsen, « un mouroir avec l’épidémie de typhus ».
Sa sœur, qu’elle a retrouvée, affaiblie par une morsure de chien, ne peut plus répondre à l’appel et va donc être assassinée dans une chambre à gaz.
« Elle m’a dit : ‘Écoute, pour moi, c’est fini. Si tu as la force de tenir, tiens le coup. Si tu as la chance de revenir des camps, promets-moi de raconter ce qui nous est arrivé pour ne pas qu’on soit les oubliées de l’histoire’. La promesse à ma sœur m’a poursuivie. »
A la Libération, en 1945, elle retrouve Paris dans un piètre état. « Je ne tenais plus sur mes jambes. J’avais des plaies sur la tête, je pesais 32 kilos et j’avais les cheveux rasés. » Le retour en France est très difficile pour les rescapés de la Shoah. On ne les croit pas.
« On nous a traité de tous les noms, de menteuses, on nous a dit qu’on racontait n’importe quoi. On a été culpabilisées d’être revenues, on s’est repliées sur nous-mêmes. Le seul problème est qu’on était nées juives. »
« Certes, ça n’a pas été toujours évident pour mes enfants et mon mari, mais toute ma vie, j’ai cru que j’avais une vie normale. Maintenant que je suis proche de la fin, je me rends compte que je ne suis jamais vraiment sortie du camp d’Auschwitz. »
Pour Esther Senot, l’émotion ne doit pas passer devant le devoir de mémoire. « C’est la promesse que j’ai faite à ma sœur avant qu’elle ne meure. » Elle a voulu faire « un appel solennel en faveur de la paix ». Les attentats commis ces dernières années ont ravivé de vieilles blessures. « Au nom du racisme et de l’antisémitisme, les pires horreurs ont été commises. On avait espéré que tout cela n’existerait plus. Et c’est revenu en force. »
Poème de Charlotte Delbo (déportée à Auschwitz en 1943)
Ô vous qui savez
Saviez-vous que la faim fait briller les yeux, que la soif les ternit ?
Ô vous qui savez
Saviez-vous qu’on peut voir sa mère morte et rester sans larmes ?
Ô vous qui savez
Saviez-vous que le matin on veut mourir, que le soir on a peur ?
Ô vous qui savez
Saviez-vous qu’un jour est plus qu’une année, une minute plus qu’une vie ?
Ô vous qui savez
Saviez-vous que les jambes sont plus vulnérables que les yeux, les nerfs plus durs que les os, le cœur plus solide que l’acier ?
Saviez-vous que les pierres du chemin ne pleurent pas, qu’il n’y a qu’un mot pour l’épouvante, qu’un mot pour l’angoisse ?
Saviez-vous que la souffrance n’a pas de limite, l’horreur pas de frontière ?
Le saviez-vous ?
Vous qui savez.
Discours de M. Jacques Chirac à Auschwitz en 2005 :
« Il reste la mémoire de chacune de ces vies dignes du plus profond des respects. Le souvenir de leur humanité qui nous hante. Le témoignage de leur existence martyrisée qui nous oblige.
60 ans après, Auschwitz et Birkenau demeurent, dans l’histoire des hommes, comme une immense et terrible déchirure.
Ici, des abîmes inconnus se sont révélés. La folie criminelle nazie est venue mettre en question l’essence même de l’humanité.
Ici, un appareil d’Etat a conduit une entreprise d’extermination, scientifique, systématique et méthodique, qui ne souffre aucune comparaison. Extermination de tout un peuple, sur tout un continent ».
Allocution de M. Jacques CHIRAC, prononcée le 16 juillet 1995 lors des cérémonies commémorant la Rafle du Vél’ d’Hiv’.
Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français.
Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des Nazis.
Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police.
Pour toutes ces personnes arrêtées, commence alors le long et douloureux voyage vers l’enfer.
La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux.
Conduites au Vélodrome d’hiver, les victimes devaient attendre plusieurs jours, dans les conditions terribles que l’on sait, d’être dirigées sur l’un des camps de transit ouverts par les autorités de Vichy.
L’horreur, pourtant, ne faisait que commencer.
Suivront d’autres rafles, d’autres arrestations. A Paris et en province. Soixante-quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n’en reviendront pas.
Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.
Quand souffle l’esprit de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l’exclusion. Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d’une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais.
Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre.
Les plus jeunes d’entre nous, j’en suis heureux, sont sensibles à tout ce qui se rapporte à la Shoah. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de plus en plus de Français décidés à regarder bien en face leur passé.
La France, nous le savons tous, n’est nullement un pays antisémite.
En cet instant de recueillement et de souvenir, je veux faire le choix de l’espoir.
Ces valeurs, celles qui fondent nos démocraties, sont aujourd’hui bafouées en Europe même, sous nos yeux, par les adeptes de la « purification ethnique ». Sachons tirer les leçons de l’Histoire. N’acceptons pas d’être les témoins passifs, ou les complices, de l’inacceptable.