De la Galicie à Labenne : le long périple d’Adolf KÜCHLER
Adolf Kuchler lors de son témoignage

De la Galicie à Labenne : le long périple d’Adolf KÜCHLER

Adolf KÜCHLER est né le 5 décembre 1915 à Wiśnicz (prononcé « Vishnitz »), un « stetl » (comme le dit Adolf) dans l’ouest de la province de Galicie, alors dans l’Empire d’Autriche-Hongrie, aujourd’hui en Pologne, à 40 km au sud-est de Cracovie, au pied des Carpathes. La petite ville, « la plus juive de Galicie », constitue, sous la domination/protection de la famille Lubomirska, un relatif havre de paix pour les Juifs.

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Adolf est le fils de Joseph, ouvrier presseur dans la confection, et de Golda Süss. Il a deux frères et une soeur (disparue pendant la Shoah).

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Wisnicz, le château des Lubomirski

En 1919, la famille émigre et vient s’installer à Berlin, où ils habitent la Grenadierstrasse (page en allemand, activer la traduction automatique), dans le quartier juif de Scheunenviertel. La Grenadierstrasse (rebaptisée Almstadtstrasse), non loin de l’Alexanderplatz, était le point d’arrivée des Juifs de toute l’Europe de l’Est dans l’Empire allemand et la République de Weimar, avant de s’installer dans d’autres quartiers de Berlin ou dans d’autres pays européens. Adolf et sa famille y retrouvent un oncle et deux tantes.

Le 5 novembre 1923, un pogrom s’y déroule (page en allemand, activer la traduction automatique).

Adolf fréquente l’école juive, le heder, puis la mittelschule jusqu’en 1932. Il joue au football au club « Hakoah Berlin », où les matchs contre les équipes « goys » se terminent parfois en bagarres…

Pour les trois années suivantes menant au baccalauréat, il doit s’inscrire dans une école « goy ». Mais en janvier 1933 l’arrivée au pouvoir des Nazis et l’instauration d’un « numerus clausus » l’obligent à abandonner sa scolarité.

En juillet, sans avoir pu obtenir de visa, il migre avec un groupe de sionistes vers la France, où il retrouve à Paris un oncle et une tante, mais la déception est grande, la France n’est pas le pays de cocagne qu’il avait imaginé. Un comité d’aide aux Juifs immigrés le loge pour quelques semaines dans des casernes désaffectées, puis à l’hôtel. Il multiplie les petits boulots peu (ou pas) payés : colportage de parfums, apprenti chez un bijoutier fantaisie, imprimerie, « bonne à tout faire », avant d’être embauché comme garçon de courses au journal « Pariser Tageblatt« , un journal fondé par des Juifs exilés d’Allemagne. Il y est logé, puis passe au « Pariser Tages Zeitung« , où il croise intellectuels et écrivains (il se souvient en particulier de Joseph Roth, l’auteur du célèbre La Marche de Radetzky). Il devient ensuite chef du service publicité du journal.

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Adolf, rentré en France de manière non officielle, risque à tout instant l’expulsion. Sa famille lui manque, il apprend que son père, sa mère et son frère cadet, à l’issue du pogrom dit de « La Nuit de Cristal », ont été expulsés de Berlin vers la Pologne. Son autre frère, né en 1919, a pu gagner la Belgique, où il attend un visa pour la France, mais la guerre survient…

En septembre 1939 donc, il est interné en tant qu’étranger au Stade de Colombes, où il passe 8 jours sur les gradins, avant d’être transféré au camp de Bengy-sur-Craon dans le Cher. Il y travaille aux champs. En février 1940, on lui propose de s’engager dans une Compagnie de prestataires militaires. Il devient donc bûcheron dans la forêt d’Orléans. Il reçoit ensuite une instruction militaire au Mans, puis à Marolles près de Blois.

La France est envahie, c’est la débâcle, puis l’Exode. Adolf se retrouve à Montauban, où il est démobilisé en septembre.

Il y monte (grâce à un prête nom, son sergent-chef) une petite affaire de commerce de crin de cheval, mais est arrêté lors d’un voyage d’affaires à Sarlat (en 1942?), et interné au camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), où il échappe de peu à la déportation. Après quelques semaines, il profite d’une permission à Perpignan pour « se faire la belle ».

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Le camp de Rivesaltes

Retour à Montauban, mais bientôt les Allemands envahissent la Zone Sud (11 novembre 1942). En février 1943, avec un camarade, ils décident de se « réfugier » à Nice, en zone d’occupation italienne, mais ils sont malheureusement arrêtés à l’hôtel. Si son camarade, muni de faux papiers, est relâché, ce n’est pas son cas. Il est emprisonné dans la même cellule que deux gangsters marseillais (qu’il trouve sympathiques), puis transféré dans la région de Digne, au camp des Mées (Groupement de Travailleurs Etrangers), où il est employé à l’usine de produits chimiques de St-Auban.

Peu surveillé, il fuit et retourne à Montauban en train (il habite 32 rue du Général Sarrail, où Michel Debré a également séjourné). Mis en confiance par un ami policier, il se rend au commissariat pour prolonger ses papiers, mais est arrêté. Il est transféré et interné au camp de Gurs. De là, on l’emmène à Labenne-Océan, où l’organisation Todt construit le « Mur de l’Atlantique ». Comme il parle allemand, il est employé au bureau d’une entreprise sous-traitante (Rey et Compagnie), à 2 km de là, mais rentre dormir au camp tous les soirs.

C’est en parlant avec un officier allemand de retour de Pologne qu’il apprend le sort probable de sa famille (« déplacée » en 1942). Mais il est repéré par un soldat allemand ukrainien, et, après s’être fabriqué des faux papiers, il fuit à Paris chez une tante (non déclarée comme juive, qui travaille à l’O.S.E., l’Organisation de Secours aux Enfants).

Mais l’enfermement lui pèse, et il retourne à Montauban en passant l’ancienne ligne de démarcation à Langon, où il manque encore une fois d’être arrêté.

Dans la région de Montauban, il se cache successivement chez trois familles de paysans, où il trait les vaches, laboure. Il se rend de temps en temps à Montauban pour des achats, mais le 3 juillet 1944, son vélo crève. Il rentre donc dans un magasin de réparation de cycles, mais la Milice est là, pour arrêter un résistant. Il est emmené successivement à la préfecture pour vérification, puis à la Milice et enfin à la Gestapo, qui l’interne à la Caserne Caffarelli à Toulouse. Il est déporté par le convoi n° 81 (parti du camp de Noé le 30 juillet) dans un train de marchandises, à 50 par wagon, et arrive une semaine plus tard au camp de Buchenwald (Weimar), où il reçoit le matricule 69657.

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Plaque à la gare de Toulouse-Matabiau

Il se déclare maçon (car il avait appris les rudiments du métiers lors d’un stage à Egletons en 1934) et interprète. Il travaille à l’intérieur du camp et évite ainsi les durs kommandos extérieurs. Levé à 5/6 heures du matin, il doit subir les appels interminables, dort tête-bêche dans des châlits, attrape une pneumonie.

A quelques jours de la libération, alors que le « block juif » est évacué, il se cache. Le 11 avril 1945, il voit apparaître le premier soldat américain (c’est un journaliste militaire), dont des déportés embrassent les chaussures.

Il est rapatrié par Coblence, puis part le lendemain en train et arrive à la Gare de l’Est le 28 ou 29 avril (où il est malade car il avait repris trop rapidement une alimentation normale). Il retourne chez sa tante, puis à Montauban, en convalescence dans une maison de repos, et reprend ensuite son commerce de crin, se marie en 1947, puis retourne à Paris en 1950.

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Le jour de son mariage à Toulouse en 1947

Il raconte enfin le « pèlerinage » effectué avec son frère sur les lieux de son enfance. A Berlin, il retrouve la pierre tombale de sa grand-mère, brisée à l’époque de l’Allemagne communiste (mais réparée), mais à Wisnicz, là où sa mère et son grand-père sont enterrés, il ne retrouve rien (« c’était la forêt vierge ») (voir aussi https://archive.is/20121221081750/http://www.sztetl.org.pl/pl/article/nowy-wisnicz/12,cmentarze/1943,cmentarz-zydowski-w-nowym-wisniczu/).

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Pierre tombale de sa grand-mère à Berlin (Archives A. Kuchler)

Adolf Kuchler est décédé le 2 septembre 2018 à Paris XIVe, à l’âge de 102 ans.