La famille Kaluski, réfugiée à Dax
Geneviève et Betty en 1990

La famille Kaluski, réfugiée à Dax

Moszek dit Maurice Kaluski, né le 21 mai 1902 à Marki (dans la banlieue de Varsovie), est employé-maroquinier modéliste, et l’époux de Laja dite Léa Zalcman, née en 1905 à Bereznica (Pologne).

Ils arrivent en France en 1929 et habitent 3 rue Linné à Paris dans le Ve arrondissement, en face du Jardin des Plantes. Leur fille Bassia naît 4 juin 1931 à Paris XIIIe.

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3 rue Linné

Lorsque les forces allemandes s’approchent de Paris en juin 1940, les Kaluski prennent avec leur fillette de huit ans la route de l’exode, comme des centaines de milliers d’autres Parisiens. « Dax était déjà pleine de réfugiés depuis les premiers jours de mai 1940 », écrit Betty Kaluski, mais ils trouvent finalement refuge dans le pavillon de la famille Ciracq, la villa Maïté au quartier de la Torte (aujourd’hui rue Louis Blanc), où Léon, agent de ville, et  son épouse Rosa leur proposent de louer la salle à manger pour dormir et la cuisine à partager.

Maurice Kaluski n’osant pas sortir dans la journée, ça n’est que le soir qu’il jardine ou bricole un clapier. Maïté, la fille de la maison, 5 ans, joue avec la petite Bassia. Ils y passent un mois et font la connaissance de leurs voisins, les Duplaissy.

Henri est agent d’assurances pour «La Paternelle » (ce qui lui permet d’effectuer des déplacements à Paris) ; avec Henriette ils ont quatre enfants : Geneviève, Jacqueline, Huguette et Yves. Geneviève, 15 ans, devient l’amie de Bassia.

Les Kaluski finissent par leur avouer qu’ils sont de confession juive.

« C’est pourquoi sans hésiter ils ont assuré Maurice et Lily de leur aide si les conditions devenaient difficiles pour les Juifs… comme en Allemagne depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir.

‘Comme en Allemagne ?… laissez-moi rire… en France ? c’est impossible’ a rétorqué Maurice. Lui, le Juif polonais, avec quarante millions de Français, faisait confiance à Pétain ».

Témoignage de Betty Kaluski

La situation semblant s’être apaisée après la signature de l’armistice par le vieux maréchal, les Kaluski, légalistes, décident de rentrer à Paris en septembre.

Cependant, très vite, survient l’obligation de se faire recenser, le premier Statut des Juifs, etc.

Le 14 mai 1941, Maurice est raflé, avec plus de 3000 autres hommes juifs étrangers (rafle dite « du billet vert ») et interné à Pithiviers dans le Loiret.

Léa (dite Lily), prudente, place sa fille, Bassia (qui devient alors Betty), dans la pension catholique Jeanne-d’Arc à Montmorency, sous un faux nom.

« Le camp de Pithiviers créé par les Allemands en juillet 1940, sera le lieu de détention de mon père sur le sol de France, le lieu de départ pour Auschwitz.

Sur les photos de mon père au camp, il creuse un bateau au couteau. Ses mains, en ce temps-là encore vivantes, habiles, s’exercent sur le bois. Ainsi doivent se passer les jours… le long des baraques… à la douceur de l’air de l’automne 1941 ou du printemps 1942. Il sculpte le navire surnommé “Pithiviers”, à ses pieds, sa gamelle vacille, toute de guingois sur un réchaud de fortune. Sur l’une de ces photos, à l’intérieur de la baraque, encombrée de grabats et de ballots, il cisèle encore le bateau. N’est-ce pas plutôt son coin de vie qu’il nous désigne, les étagères rangées, les objets personnels alignés, organisés selon déjà une certaine habitude ? Un halo de lumière pénètre par la fenêtre ouverte, entoure son visage. À l’agrandissement de la photo, on aperçoit flotter des images floues, punaisées sur l’étagère au-dessus de la tête de mon père. Les yeux se troublent à la vue de ces visages, l’âme s’obscurcit… des détails se révèlent à la clarté. Nous sommes là, ma mère et moi, dans la baraque, la tête penchée l’une vers l’autre, me voici enfant, toute proche de lui sur le carton photographique, debout vêtue d’une robe que je sais être de velours rouge sang. Par-delà le photographe invisible, mon père nous regarde… sa femme, sa fille.

“Je construis le bateau de rêve, dit-il, nous irons avec lui vers d’autres terres… vers d’autres hommes.”

Intuitive, ma mère sent planer le danger, elle supplie son mari de s’évader. Celui-ci refuse en riant, se moque de son angoisse. Seuls les détenus adhérents au parti communiste s’évadent, grâce à l’organisation du parti. Il n’est pas communiste. Et puis, où aller, qui lui fournira les faux papiers pour lui, pour sa famille ? Non ! Il est sous la protection de l’administration française. Ma mère s’obstine… Quoi faire ? À qui demander conseil ? Elle court après le moindre renseignement… Elle est aux aguets, apeurée pour sa fille, pour elle-même. Elle cherche comment faire sortir son mari dans la ville de Pithiviers.

Elle a trouvé ! Un jeune interné, ami de mon père, se marie, il le prend comme témoin au mariage civil. Ma mère court à Pithiviers, elle s’entend avec un gendarme qui accompagne les détenus au mariage, il accepte par avance les arrêts de rigueur, comme sanction, si mon père s’évade. Elle trouve un abri pour une nuit ou deux… une infirmière française lui cède une chambre. Tout est prêt pour l’évasion… Le capitaine Luthereau, commandant du camp, autorise généreusement la tenue du repas de noces à l’Hôtel du Gâtinais dans la ville, c’est-à-dire la sortie des internés du camp.

Le repas est joyeux, beaucoup de détenus sont parmi les invités, mon père aussi. Mais il ne veut pas… Il ne peut pas s’évader… Il se doit d’être digne de la confiance accordée et ne pas imposer des sanctions au gendarme qui les accompagne. Il veut être aussi digne qu’un Français idéal. Sa parole d’honneur donnée, rien ne le fera revenir.

Les détenus sont bien connus dans Pithiviers, les commerçants acceptent de leur vendre quelques denrées alimentaires et même, bien souvent, manifestent de la compassion à leur égard.

Qui a dénoncé cette noce juive, joyeuse, un peu bruyante ?

Le 9 avril, la Feldkommandantur d’Orléans informe le préfet d’Orléans des licences octroyées par le commandant du camp : suit une longue liste de toutes les libertés accordées par ce dernier, la sortie juive à l’hôtel du Gâtinais est largement mentionnée.

Le 14 avril, le préfet d’Orléans tente d’intervenir auprès de la kommandantur (quartier général des armées) : “Il résulte que les faits signalés sont exacts… Par ailleurs, il fait convenablement son service, et il y a lieu de le maintenir dans son emploi actuel”.

Le 18 avril, le même préfet informe la même kommandantur que le capitaine Luthereau a été relevé de ses fonctions le 15 avril 1942 et “rendu à la vie civile”.

Le 25 juin 1942, mon père, quarante ans, convoi 4, est déporté à Auschwitz ».

Moszek KALUSKI par sa fille Betty Saville (témoignage recueilli en 2010)

Maurice est déporté par le convoi n° 4, parti le 25 juin 1942 de Pithiviers et arrivé à Auschwitz le 27, où il reçoit le matricule 42183. Il n’en reviendra pas.

Trois semaines plus tard, le 15 juillet, la rumeur d’une grande rafle, qu’on appellera plus tard du Vel’d’Hiv’, se propage dans Paris. Lily quitte son domicile et part se terrer chez des amis arméniens, d’où elle lance un appel désespéré à cette famille dacquoise, qui lui avait promis son aide deux ans plus tôt.

Les Duplaissy répondent à l’appel. C’est d’abord Geneviève, 17 ans à peine, qui monte à Paris avec deux amis résistants pour sortir Betty de sa pension et la ramener à Dax. Quelques jours plus tard, Henri Duplaissy et M.Pourquet (un enseignant qui faisait de la Résistance) font à leur tour le voyage pour récupérer Lily, à qui ils apportent de faux papiers (au nom de Madame Gaillet, née de parents français mais en Russie, pour expliquer son fort accent).

« Aucun des trois ne tremble lorsque la Gestapo en arme malmène un voyageur, aucun ne tremble lorsque la police se met à la recherche de circoncis, lorsque des hommes sont humiliés de devoir baisser leur pantalon sur les quais de la gare. Aucun ne tremble lorsque Lily tend ses faux papiers aux policiers. Ne pas pleurer, ne pas bouger lorsque le visage est scruté pour vérification d’identité ». Ils  arrivent sains et saufs jusqu’à Dax ».

Témoignage Betty Kaluski

Betty trouve refuge chez les Duplaissy, aux côtés de Geneviève et des autres enfants.

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La villa des Duplaissy rue Louis Blanc

« En compagnie des enfants Duplaissy, des galopins du quartier, ce sont les courses sauvages dans les forêts sablonneuses, errements dans les vignes… chapardages… barbe de maïs fumée à califourchon dans le bois en bordure de la maison ».

Lily, elle, trop connue dans le quartier de la Torte, est conduite chez M. Bouzats, innocent pâtissier-glacier en apparence (6 rue St-Pierre).

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La pâtisserie de M. et Mme Bouzats (Photo Mairie de Dax, DR)

Mais au mois  d’octobre 1942, Charles Bouzats est arrêté (résistant, il sera fait prisonnier lors de l’attaque du maquis de Téthieu et fusillé au Bois de Boulogne à Dax en juin 1944). Après cette alerte, Lily doit quitter sa chambre au-dessus de la pâtisserie, elle se réfugie à son tour chez les Duplaissy. La situation n’est plus tenable à Dax. Il faut passer en zone non occupée. Henri Duplaissy élabore avec ses collègues de la résistance un plan d’urgence pour que Lily et sa fille quittent Dax. Encore une fois, c’est Geneviève qui s’en charge directement. Aidée par un compagnon résistant et par M. Pourquet, elle accompagne Lily et Betty Kaluski jusqu’à la ligne de démarcation, qu’elles franchissent aux alentours d’Orthez (où une chambre a été retenue), puis elles poussent jusqu’à Pau.

« Sauvées, nous étions sauvées par le dévouement hors du commun, absolument désintéressé, de la famille Duplaissy et de tous leurs amis de la Résistance », dit Betty Kaluski.

Mais elles sont internées au Stadium de Pau, puis au camp de Gurs, et enfin, faute de place, déplacées à Rivesaltes. Betty, en tant que française (contrairement à sa mère), est libérée au bout d’un mois et placée dans une famille. A la mi-novembre 1942, Rivesaltes est fermé pour insalubrité ; retour de sa mère à Gurs, dont elle est « libérée » en août 1943. Elles sont alors assignées à résidence à Mortroux dans la Creuse, mais doivent régulièrement se cacher pour échapper aux rafles. Betty y intègre l’école primaire.

A leur retour à Paris en octobre 1944, elles retrouvent leur appartement occupé. Elles doivent vivre dans une menuiserie désaffectée.

« Mes études ont été morcelées, notre situation financière était loin d’être brillante et longtemps il y a eu l’attente angoissée du retour de mon père.

Difficile de vivre sans son père. Il n’est pas mort au champ d’honneur, en héros de la Résistance. Il était juif et engagé volontaire ! La France et l’Allemagne l’ont fait disparaitre.

Mon fils n’a pas eu de grand-père. Seul le silence évoquait le disparu en fumée. Aujourd’hui à l’âge de la retraite, sortie d’une enfance meurtrie, peut-être enfin adulte, ma désillusion est totale. Je réalise avec quel mépris l’administration française a traité des êtres humains, parce qu’ils étaient juifs et permis la déportation de mon père, l’internement de ma mère, le mien, les fuites éperdues à travers la France, la spoliation ».

Elle épousera ensuite Jo Saville.

Elle sera présidente de l’association « Enfants cachés ».

Le 31 mai 1990, suite à la demande déposée par Bassia, Yad Vashem décerne à Henri, Henriette et Geneviève Duplaissy le titre de Juste parmi les Nations.

Le 3 juin 2018, le parvis de la mairie a été rebaptisé Parvis des Justes parmi les Nations ».

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Inauguration du parvis de la mairie – DR

Enfin, le 11 juillet 2022, c’est au tour de Charles Bouzats et de son épouse d’être reconnus Justes.

Une cérémonie a eu lieu à Dax le 11 avril 2024 afin de décerner cette distinction à leur petit-neveu.

Les Justes

Henri Pierre Marius Duplaissy, né le 19/11/1900 à Oullins (Rhône), décédé le 11/01/1967 à Monflanquin (47)

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Henri Duplaissy

Marié 29/02/1924 à Dax avec Henriette Loumé, née le 24/05/1901 Dax, fourreuse, décédée le 2/08/1992 à Biganos (33).
Profession : Fourreuse

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Henriette Duplaissy

Leur fille Lucienne Adrienne « Geneviève », née le 19/05/1925 à Dax, épouse de Jean Fréchaut, coureur cycliste, décédée le 21/05/1992 à Antibes (06).

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Geneviève Duplaissy

Charles Bouzats, né le 9/11/1895 à Solférino, fils de Joseph, garde domanial, et de Jeanne Tachoires, ménagère. Pâtissier 6 rue St-Pierre à Dax. Il rejoint le maquis de Téthieu le 7 juin 1944, mais est fait prisonnier à Candresse le 11. Condamné à mort le lendemain par un conseil de guerre allemand siégeant au collège de Jeunes filles de Dax, il est fusillé au Bois de Boulogne le 13 et inhumé avec ses camarades le 14 au cimetière de Dax. Déclaré « Mort pour la France ». Une stèle avec le nom des quatre résistants a été érigée au bois de Boulogne à Dax. Marié le 21 octobre 1933 à Peyrehorade avec Marguerite Amélie dite Suzanne Laborde, née le 28/06/1901 à Peyrehorade, décédée le 1/04/1989 à Dax.

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Marguerite et Charles Bouzats (Photo Mairie de Dax, DR)

Documents


Sources :

Yad Vashem

http://lestemoins.fr/content/mosze-kaluski-0

https://klarsfeld-ffdjf.org/publications/livres/1999-lettres-au-1er-ministre/

Recherches de Kévin Laussu (que nous remercions), qui ont permis de localiser les villas des Ciracq et des Duplaissy.

https://www.sudouest.fr/premium/dans-vos-departements/dax-l-extraordinaire-histoire-de-la-famille-duplaissy-justes-parmi-les-nations-3033713.php

https://www.francebleu.fr/infos/societe/le-parvis-de-la-mairie-de-dax-va-changer-de-nom-1527100949

https://www.sudouest.fr/landes/dax/le-parvis-de-la-mairie-de-dax-a-un-nouveau-nom-3031420.php

Inauguration du Parvis des Justes parmi les Nations à Dax :