A propos de deux photographies de la libération de Dax

Publié le Évènements

Le Centre Pédagogique de la Résistance et de la Déportation a pu récupérer récemment deux clichés photographiques montrant ce qui est présenté partout comme les troupes allemandes quittant Dax, à leur passage sur le pont, et qui seraient donc datés du 22 août 1944.

Or, scannées en haute définition et scrutées dans leurs moindres détails, ces images racontent une autre histoire.

Les deux clichés ont des formats différents : la première photographie mesure 8X8 cm, et son support à bords dentelés 8,7X13 cm (format carte postale, cf. impression au dos). La seconde photographie mesure 5,5X5,5 cm et son support à bords dentelés 6X7 cm. Au dos, elle porte une inscription manuscrite : « ils partent ! vélos – chars landais avec les mules tout est bon »

La première est donc un retirage, la seconde un tirage « original », à partir de négatifs que nous ne possédons pas.

Il s’agit d’une série. Un point de repère peut être pris en la personne du cycliste qui se trouve à droite du premier groupe de soldats, à l’extrême droite du premier cliché, et qui se retrouve au premier plan à gauche sur le second. De même le soldat à l’avant gauche du 2e groupe de soldats sur le premier cliché, et qui semble porter un fanion, se retrouve devant l’entrée de l’Hôtel du Cheval blanc sur le second.

Un examen détaillé des images montre rapidement qu’il ne s’agit pas de soldats allemands :

  • Les hommes qui défilent ont la peau foncée
  • Ils ne sont pas armés.
  • Les uniformes n’ont pas grand-chose à voir avec des uniformes allemands. On identifie, au contraire, des bérets, képis, quelques casques, de type anglo-saxon, et surtout des chapeaux de brousse (« slouch hats ») assez caractéristiques des uniformes des troupes du Commonwealth (en particulier australiennes). Certains portent également des « swagger sticks », cannes ou bâtons symboles d’autorité (officiers ?)
  • La foule des Dacquois montre une grande proximité (voire familiarité) avec les militaires, les interactions sont nombreuses, un soldat salue, il y a beaucoup d’enfants… tout ceci semble peu compatible avec des soldats allemands…

Dax est libérée le mardi 22 août 1944. Mais 2.000 tirailleurs « français et anglais », soldats coloniaux français libérés du camp de Buglose, mais aussi nos Sud-africains, ont « envahi la ville et sont, pour la plupart, ivres et parqués dans les arènes ». Enfin persuadés, les tirailleurs retournent (momentanément) au camp rapidement réinstallé, tandis que les Sud-africains sont cantonnés au Séminaire (actuelle EALAT) en attendant la venue d’un consul.

Ces soldats appartenaient très vraisemblablement à la 2e division d’infanterie sud-africaine (intégrée à la 8e armée britannique), dont deux brigades complètes ainsi que la plupart des unités de soutien (Native Military Corps) avaient été capturées à la prise de Tobrouk (Libye) le 21 juin 1942. Ce sont au total 1.753 hommes qui tombèrent entre les mains des Italiens et des Allemands.

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Prisonniers du Commonwealth à Tobrouk

Dans l’Afrique du Sud ségrégationniste, les membres du « Native Military Corps » (environ 76.000 hommes) ne portaient (en théorie) pas les armes et étaient cantonnés à des tâches non-combattantes (ouvriers, gardes, aides-médicaux, etc.).

A l’instar des soldats coloniaux français, ces prisonniers sud-africains furent internés dans les stalags d’Onesse-et-Laharie, Rion-des-Landes, Labenne, etc…

Les conditions de détention sont dures, les prisonniers sont employés à divers travaux, en particulier forestiers. Le soldat Timothy MATHOPA, matricule 6837 du Native Military Corps, repose au cimetière d’Onesse, où il est décédé le 13 août 1943, tandis que Sam N. KAZAMULA, matricule 927 du même corps, est inhumé le 30 novembre 1943 à Rion-des-Landes.

Quatre autres soldats sud-africains reposent au cimetière Saint-Léon de Bayonne.

Léon des Landes évoque, à la date du 23 août 1944, la libération de 500 ou 600 « Sud-africains de l’Armée Britannique, prisonniers à Basta-les-Forges [Buglose] », où ils avaient peut-être été transférés, et « qui ont été rapatriés en octobre 1944 à la suite d’une visite officielle de Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur d’Angleterre à Madrid ».

En effet, des articles de la presse landaise de l’époque nous informent de la visite à Dax, fin septembre 1944, d’une délégation formée du lieutenant FENNESSY, du sergent TAINKON, de l’armée britannique, et du caporal SKINNER, de l’armée américaine, en vue du rapatriement des soldats sud-africains. Accueillis au PC des FFI, ils attirent rapidement la foule, avide de rencontrer (enfin !) des soldats alliés et découvrir la fameuse « Geep » (sic). Ils se rendent ensuite au cantonnement du Grand Séminaire, accueillis par l’officier français qui en avait la charge, le lieutenant FAUVEAU, et annoncent aux hommes que d’ici deux mois, ils seront de retour au pays. Plus tard, la municipalité offre un déjeuner au Splendid, en présence de la nouvelle municipalité, de Léon des Landes et de FFI. C’est une sorte de « Fête des Alliés » qui se déroule, et Léon des Landes regrette l’absence de la Russie. Une soirée de gala se déroule ensuite à l’Atrium.

Le lendemain à 11h, un vin d’honneur est servi à la mairie, puis, l’après-midi, c’est l’heure du départ. Une revue d’armes est organisée à 14h30 sur la toute nouvelle place Charles de Gaulle, en présence des FFI. Les Sud-africains, arrivés via la place Saint-Vincent, se dirigent ensuite jusqu’à la gare.

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La IVe République du 27 septembre 1944 (AD 40)

La photo a donc été prise (par un photographe anonyme) le vendredi 29 septembre 1944 vers 15h ou 15h30 (les ombres au sol commencent à s’allonger).

Tous ces soldats ne furent malheureusement pas rapatriés, puisqu’au cimetière de Bretagne-de-Marsan, on trouve la sépulture d’Exton TSIRI, matricule 6824, décédé le 19 novembre 1944, vraisemblablement au Sanatorium de Nouvielle, tandis que le cimetière de l’Hôpital Sainte-Anne de Mont-de-Marsan abrite les tombes des soldats Jim Motubatsi THOBANE, originaire du Sekhukhuneland, une région minière du Transvaal, marié avec Siteng THOBANE, matricule 1224 du Native Military Corps, décédé le 14 janvier 1945 de la tuberculose, et Serokoloane Jack KEKANA, matricule 13460 au même corps, décédé 3 jours plus tard. La tombe de Motubatsi THIBANE porte une inscription plus personnelle : « In memory of my soldier husband«