Le 15 mai 1944, 4 soldats « coloniaux », prisonniers de guerre au camp de Castets, sont massacrés par leurs gardes allemands lors de la tentative d’évasion d’un autre prisonnier.
Prisonniers de guerre et Africains : la double peine
Le 22 juin 1940 la France du Maréchal Pétain signe un armistice avec l’Allemagne victorieuse. 1.800.000 soldats français sont prisonniers des Allemands.
Les prisonniers coloniaux sont maltraités dès leur capture. Près de 3.500 d’entre eux sont victimes d’exactions, de massacres et d’exécutions, au mépris des lois de la guerre.
D’abord détenus avec tous les autres prisonniers, les soldats « coloniaux » ne tardent pas à en être séparés. En effet ils sont considérés par les Nazis comme des « sous-hommes » et il s’agit de ne pas « souiller » le sol et la « race » allemands. L’argument de la rigueur du climat allemand a pu aussi jouer, ainsi que la peur de la contagion par les maladies tropicales.
Les Allemands décident donc d’interner environ 80.000 prisonniers d’Outre-mer dans 22 « frontstalags », dont 5 en Aquitaine (Poitiers –transféré à St-Médard-en-Jalles en 1942-, Angoulême –transféré à Onesse-et-Laharie en 1942-, Saint-Médard-en-Jalles, Onesse-et-Laharie et Bayonne, d’abord envisagé à Peyrehorade). Leur nombre décroît ensuite, et ils ne sont plus que 30.000 en 1944. La diminution progressive de ces effectifs s’explique par quatre causes : les libérations, les évacuations sanitaires, les évasions et les décès.
Bien que les conditions de vie de ces détenus se soient progressivement améliorées, elles sont en effet bien pires que celles des soldats de métropole, et leur taux de mortalité est bien plus élevé. Dans ces camps en effet l’état sanitaire n’est pas satisfaisant et l’alimentation insuffisante.
Dans les Landes
Les prisonniers sont répartis dans une trentaine d’Arbeitskommandos (annexes du Frontstalag 222 de Bayonne ou 195 d’Onesse-et-Laharie, rattaché lui-même à Bayonne en 1943). Les camps de Basta-les-Forges (Saint-Vincent-de-Paul) et Onesse-et-Laharie, reçoivent leurs premiers prisonniers coloniaux dès le mois d’octobre 1940.
On peut estimer le nombre de prisonniers « coloniaux » détenus dans les camps des Landes entre 10.000 (1941) et 6.000 (en 1944).
Les prisonniers des stalags landais sont presque tous des soldats de l’armée française : quelques officiers et sous-officiers et médecins métropolitains, des Maghrébins (Algériens, les plus nombreux, Tunisiens, Marocains), des Sénégalais, Ivoiriens, Soudanais, des Malgaches, des Réunionnais, des Guadeloupéens, des Martiniquais et des Indochinois. Cependant quelques soldats anglais Sud-Africains notamment sont détenus dans certains stalags (Onesse-et-Laharie, Rion-des-Landes, Labenne, etc…).
Ils servent de main-d’œuvre bon marché pour l’occupant allemand (chaque prisonnier au travail, reçoit 8 francs par jour, ce qui est peu, et une ration un peu supérieure à celle qui est donnée aux prisonniers sans travail).
La majorité des prisonniers travaillent sur des chantiers forestiers, soit à scier les bois (bois d’œuvre, poteaux de mine, bois pour la carbonisation), soit à couper la brande et la dessoucher. Le bois d’œuvre et les poteaux de mine ainsi obtenus sont acheminés vers la gare la plus proche (les camps sont souvent placés près de lignes de chemin de fer qui n’existent plus aujourd’hui) et expédiés en majeure partie vers l’Allemagne.
Les camps situés près de la côte fournissent de la main-d’œuvre à l’organisation Todt, chargée d’ériger le mur de l’Atlantique.
Des prisonniers sont employés sur d’autres chantiers, comme à Labenne pour la réalisation d’un quai à la gare, à Mont-de-Marsan pour aménager la base aérienne, ou dans plusieurs endroits pour dresser les « asperges » de Rommel (pieux enfoncés dans le sol destinés à empêcher les atterrissages des avions alliés). Enfin une partie d’entre eux, restée au camp, connaît l’oisiveté, l’ennui, la nostalgie du pays natal, voire la dépression, un peu réconfortés par de rares colis de la Croix-Rouge et des « marraines » dans les villages voisins.
Au moins une centaine d’entre eux sont décédés dans les Landes, en raison des conditions d’hygiène déplorables, du manque de nourriture, du travail harassant, ou lors de tentatives d’évasion. Ils sont en effet assez nombreux à tenter leur chance, et de nombreuses filières se mettent en place afin de les cacher et de leur faire passer la ligne de démarcation, et gagner éventuellement la frontière espagnole.
Castets
Le camp de Castets (rattaché au Frontstalag 222 de Bayonne) a complètement disparu. Il se situait au lieu-dit « Cante Cigale », au sud du bourg, sur la Nationale 10, à proximité de l’ancienne gare (vraisemblablement sur le site de l’entreprise Gascogne). Il est ouvert dès le début de 1941 et regroupe, en mai 1944, 300 à 350 prisonniers, dont une majorité d’Algériens, mais aussi des Marocains, Tunisiens et quelques Sénégalais. Les visiteurs de la Croix-Rouge décrivent 5 baraques (de 30 mètres de long sur 6 de large) dotées de 36 lits doubles chacune. Le camp est entouré de barbelés et surveillé par des miradors.
Les hommes travaillent en forêt, fabriquent du charbon, quelques-uns au Mur de l’Atlantique semble-t-il (camp de Moliets)…
En ce 15 mai 1944, une cinquantaine d’entre eux, répartis en plusieurs chantiers, sont employés à abattre des pins à 3 km du bourg de Castets, sur la route de Linxe, gardés par deux sentinelles.
Vers 13h30, profitant que l’une d’elles se soit éloignée, un petit groupe d’hommes tente sa chance. La sentinelle restant leur tire dessus et lance une grenade, puis tourne son arme en direction des autres prisonniers, qui essaient de trouver un abri derrière le « bros » (charrette) d’un muletier. La fusillade dure plusieurs minutes. Un adjudant intervient enfin pour faire cesser le massacre.
Un des prisonniers, recouvert par deux corps de victimes, doit les traîner jusque dans la charrette. Le maire dans son rapport indique qu’il a été « fortement commotionné et a actuellement le délire ».
Au total, quatre prisonniers ne se relèvent pas. Ils sont inhumés le lendemain au cimetière de Castets en présence, à titre exceptionnel, d’une partie des habitants.
Le lendemain le kommando est sanctionné, travaillant sans pause, sans pouvoir boire ni satisfaire les besoins naturels.
Les victimes :
- Mohamed BEN BRIK, né en 1920 à Souk Soualem (Maroc, région de Casablanca), tirailleur au 5e Régiment de Tirailleurs Marocains.
- Mohamed BEN HAMOU, né en 1920 à Douar Ighil (Maroc, à l’est de Marrakech), tirailleur au 1er Régiment de Tirailleurs Marocains.
- Embarek GHENAÏ, né en 1911 à Tiaret (Algérie, département d’Oran, dans l’Atlas), soldat au 2e Régiment de Spahis.
- Ben Assen dit Hocine TOUHAMI, né en 1916 à El Hamma Gabès (Tunisie, à 100 km de Djerba).
Par ailleurs, 5 autres soldats d’Outre-Mer sont inhumés dans le carré militaire musulman du cimetière de Castets, exécutés ou fusillés suite à des tentatives d’évasion : Taïeb BEN AHMED (le 3 janvier 1942), Ali ABDELMALEK et Taïb RAHAL (le 7 mai 1942), Cheikh ALILI (le 21 mai 1943), Bouchaïb BEN FATMI (le 13 juillet 1943).
Pour Issa DIALO (le 4 juillet 1942), Mohamed Ben Amar LARHIZI (le 25 octobre 1943) et Abderrahmane CHAABANE (le 13 décembre 1943), on ne connaît pas la cause de leurs décès.
La commune et le Souvenir Français ont réaménagé en 2002 le carré militaire musulman du cimetière de Castets.
Voir la page du site consacrée à la mémoire.
Sources :
CAMPA (F.), Les prisonniers de guerre coloniaux dans les Frontstalags landais et leurs Kommandos. 1940-1944, Les Dossiers d’Aquitaine
LARREGUE (J.), « Les évasions de Laluque », Bulletin de la Société de Borda, 4e trimestre 2001
SCHEMMEL (J.) et HOUPEAU (P.), Des barbelés à Buglose, Société de Borda, 2018
TAUZIET (S.), « L’affaire Kerstein ou l’histoire inédite d’un transfuge allemand », Bulletin de la Société de Borda, 3e trimestre 2018
https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2006-3-page-109.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Prisonniers_de_guerre_fran%C3%A7ais_de_la_Seconde_Guerre_mondiale