Maurice Papon (1910-2007), secrétaire général de la préfecture de la Gironde de juin 1942 à la Libération, est inculpé pour « crimes contre l’humanité » en 1983 puis condamné en 1998 à 10 ans de prison pour son rôle dans la déportation de 1600 Juifs (le tribunal retient la complicité de crimes contre l’humanité, à savoir les complicités d’arrestation et de séquestration. Il est acquitté pour toutes les charges de « complicité d’assassinat » et de « tentatives de complicité d’assassinat », la cour d’assises ayant estimé qu’il n’était pas prouvé qu’il connaissait l’extermination des Juifs au moment des faits).
Or, un procès-verbal d’installation conservé à la préfecture des Landes semble en faire foi, Maurice Papon, aurait été nommé préfet des Landes par le commissaire de la République de Bordeaux Gaston Cusin le 22 août 1944, le lendemain de la Libération de Mont-de-Marsan, et installé par le secrétaire général le 23.
Maurice Papon était donc jusque-là secrétaire général de la préfecture de Gironde, sous l’autorité de Maurice Sabatier, préfet régional nommé par Vichy. Maurice Papon chapeautait cinq divisions de la préfecture et un Service des questions juives. Ce service, dirigé par Pierre Garat, était chargé d’assurer la partie administrative (organisationnelle) des décisions de la délégation régionale du Commissariat Général aux Questions Juives. En janvier 1944, il avait refusé une promotion au poste de préfet des Landes (pour continuer à servir la Résistance dira-t-il ensuite).
Au début du mois de juin 1944, c’est le résistant Roger-Samuel Bloch qui conseille à Gaston Cusin, (nommé Commissaire de la République par de Gaulle, mais encore clandestinement) de faire appel aux services de Papon, qui sait vite se rendre indispensable auprès de Cusin pendant les trois mois précédant la libération de Bordeaux.
Maurice Papon entre finalement au cabinet de Cusin en tant que directeur de cabinet.
« De Gaulle et Jean Moulin avaient, dès 1941, défini des critères d’épuration de l’administration, et ce qu’était selon eux la ‘collaboration’. C’est pourquoi ils avaient donné des instructions précises au terme desquelles il leur semblait tout à fait légitime et même nécessaire que les commissaires de la République prennent comme directeurs de leurs cabinets les secrétaires généraux des départements où ils arrivaient en poste. Pour les Gaullistes, et en fait pour l’ensemble de la Résistance, les fonctionnaires policiers et préfectoraux pouvaient être des dauphins acceptables dans la mesure, disent les instructions, où ils ne s’étaient point compromis avec les Allemands, n’avaient point fait de zèle, n’avaient point étalé de sentiments germanophiles, possédaient une compétence technique incontestable. Selon cette analyse réaliste, fondée sur la nécessité de remettre très vite en marche la structure de l’État, les questions d’épuration devaient être posées après la phase provisoire, pendant laquelle toute autonomie était laissée aux commissaires de la République ».
Le 22 août 1944 par arrêté de Gaston Cusin, le préfet de Vichy Gazagne aurait été « suspendu de ses fonctions » (en application des ordonnances du Gouvernement Provisoire de la République Française) et Maurice Papon aurait été nommé, sans doute sur suggestion de lui-même, préfet des Landes « par ordre » (il s’agit d’une nomination « pour la forme », destinée seulement à bénéficier du rang de préfet, afin de parler « d’égal à égal » avec les préfets placés sous l’autorité de Cusin).
Il est vraisemblable que Maurice Papon n’ait jamais eu l’intention d’exercer effectivement cette fonction, mais il fallait néanmoins qu’il y ait installation officielle à Mont-de-Marsan pour que cette nomination soit valide (et serve sa carrière)…
Son PV d’installation conservé à la préfecture est un faux rédigé a posteriori, Papon n’ayant jamais paru dans les Landes à cette date. Notons que les commissaires de la République n’avaient d’ailleurs pas le pouvoir de « nommer des préfets », mais simplement de « déléguer dans les fonctions de préfet », la nomination est donc illégale (elle ne sera régularisée que le 23 octobre, après passage devant la Commission d’épuration du Ministère de l’Intérieur)…
Charles Lamarque-Cando, président du Comité Départemental de Libération des Landes, rencontre Cusin à Bordeaux le 25 août au matin pour réclamer instamment la nomination d’un préfet pour les Landes. Celui-ci répond qu’il reconnaîtra le préfet proposé à l’unanimité par le Comité de Libération. Il n’est pas question de Papon, pas plus que dans les débats du C.D.L. (Léon des Landes) qui, le 26, « nomme » Paul Chary (un authentique résistant, libéré quelques jours avant de la prison bordelaise du Fort du Hâ) préfet des Landes, en attendant de pouvoir se rendre à Bordeaux, toujours occupée par les Allemands, afin de faire valider cette décision par Gaston Cusin.
Le 8 ou 9 septembre, les arrêtés de Cusin portant nomination de Papon comme préfet, sa mise à la disposition de Cusin, et la nomination de Chary comme « chargé des fonctions de préfet pendant la mission » de Papon arrivent à la préfecture de Mont-de-Marsan… On en déduit que Papon visait le poste de préfet des Landes, mais que, se rendant compte que sa nomination y serait mal accueillie, on a « bricolé » cette solution.
Le 23 octobre Maurice Papon, toujours directeur de cabinet de Cusin, est confirmé à ce poste et nommé préfet de 3e classe, alors que par décret du même jour, Georges Phalempin est délégué dans les fonctions de Préfet des Landes en remplacement de Paul Chary, qui réintègre les Ponts et Chaussées « à sa demande ».
Mais ça n’est que le 9 novembre qu’un décret rétablit la légalité des différentes nominations de la fin août : Papon n’a pas été nommé préfet des Landes, mais « délégué dans les fonctions » de préfet, la préfecture doit établir un PV d’installation rectifié, daté du 23 août pour Papon, et du 25 pour Chary (c’est Pélissier, chef de cabinet des préfets avant et après la Libération, qui s’en charge).
PAPON aura donc été préfet (nominal) des Landes pendant 2 mois.
Papon fait nommer Pierre Garat (ancien chef du service des questions juives à la préfecture de la Gironde, puis directeur -ou chef- de cabinet de Gazagne en août 1943, et enfin faisant fonction de sous-préfet de Dax à la Libération) sous-préfet de Blaye. Il est remplacé à Dax le 13 décembre par Jean Chapel (qui avait été jusque-là directeur de cabinet du préfet régional de Vichy Maurice Sabatier).
La nomination de Papon fut contestée par le Comité de Libération de Bordeaux (Gabriel Delaunay). Maurice Papon ayant été mis en expectative, comme tous les autres fonctionnaires ayant servi sous Vichy, le Comité d’épuration du corps préfectoral, confirme néanmoins ces nominations en décembre 1944, jugeant les contestations du CDL de Bordeaux non légitimes.
Papon reste directeur de cabinet des successeurs de Cusin à Bordeaux : Jacques Soustelle (mai 1945) et Maurice Bourgès-Maunoury (juin 1945), tous deux grands résistants.
Il quitte ensuite la Gironde, chargé de la sous-direction de l’Algérie au Ministère de l’Intérieur en octobre 1945, puis nommé chef de cabinet du secrétaire d’État à l’Intérieur en janvier 1946.
En janvier 1947, alors préfet hors-cadres, il est délégué dans les fonctions de préfet de Corse. Son sang-froid, sa détermination et son obéissance poussent Jules Moch, ministre de l’intérieur, à lui demander d’être le préfet de Constantine en 1949.
Il est plus tard, en tant que préfet de police de Paris à partir de mars 1958, impliqué dans la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 organisée par le Front algérien de libération nationale (FLN), puis dans celle du 8 février 1962, organisée par plusieurs syndicats et le Parti communiste français (PCF) pour protester contre l’Organisation de l’armée secrète (OAS) et connue depuis sous le nom d’affaire de la station de métro Charonne.
Ayant par la suite mené une carrière de haut fonctionnaire, jusqu’à des postes ministériels, Maurice Papon est rattrapé par son passé en 1981, à la suite d’un article du Canard enchaîné paru entre les deux tours de l’élection présidentielle, alors qu’il est ministre du Budget du gouvernement Barre.