Daniel et Christiane KOLM et la Colonie du Pylône à Mimizan

Daniel et Christiane KOLM et la Colonie du Pylône à Mimizan

Christiane JAMMES de GOLBERY est née Christiane JAMMES à Paris XIVe le 23 juillet 1906, 47 rue Sarrette, fille d’Emile Eugène Joseph, artiste-peintre, et de Lucienne Marie Thérèse Lavagne. Entrée aux Beaux-Arts, elle épouse le 17 décembre 1929 à Paris XIVe Daniel KON (alias COHN, plus tard KOLM), étudiant en psychologie, juif et militant communiste (né en 1897 en Pologne, mobilisé en 1920 dans l’armée polonaise, venu en France en 1924 où il poursuit des études de professeur de français et de conseiller d’orientation professionnelle, naturalisé en 1930).

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Ils habitent 18 rue de Châtillon, toujours dans le XIVe. Christiane est infirmière, assistante sociale de la Croix Rouge, et adepte de l’ « Éducation active ». Ils auront trois enfants. Le couple fonde en 1929 une colonie à Belle-Île en Bretagne, puis dans le Jura (colonie de RondeFontaine dans le Doubs), avant de s’installer en 1939 à Mimizan, y créant une « colonie sanitaire » (pour l’association « Groupe d’Etudes et de Vacances »). Elle devient également présidente de la section locale de la Croix-Rouge.
Au début de la guerre, la Colonie du Pylône, située à Mimizan Plage, au bout de la rue de la Poste, accueille plus d’une centaine d’enfants. Les grandes vacances se prolongent, un certain nombre de leurs parents décidant de les y laisser afin de les protéger.

C’était la rentrée des classes, nous avons mis tous les enfants à l’école, et nous avons commencé l’hiver comme ça. Les parents payaient, alors ça allait bien. Mais peu à peu, pour beaucoup de raisons, des parents ont cessé de payer. Alors je me suis déclarée comme réfugiée avec les enfants, et nous avons touché l’allocation-réfugiés. Comme j’étais infirmière de la Croix Rouge (j’avais suivi une formation d’infirmière pour pouvoir diriger la colonie), j’ai été chargée de mission pour ouvrir un centre de réfugiés, plus tard nous avons vu venir quelques réfugiés.

En 1940 son mari (mobilisé en septembre 1939 au 217e Régiment Régional de Travailleurs dans le Génie, puis au Contrôle Téléphonique à Vichy) est démobilisé en août 1940 dans l’Allier, en Zone Non Occupée. « Madame Christiane » se retrouve donc seule, en Zone Occupée, avec les deux monitrices, Kriss et Ida (dont l’une est juive), pour s’occuper de la trentaine d’enfants qui ne sont pas rentrés à Paris, dont certains sont juifs. D’autres sont envoyés depuis la capitale à Mimizan par leurs parents. Certains de ceux-ci ne reviendront jamais chercher leurs enfants…

Parmi ces trente enfants, il y en avait une bonne dizaine qui étaient juifs. Nous avions toujours eu pas mal de Juifs, cela se faisait de bouche à oreille ; leurs parents étaient des artisans du Sentier, qui ne prenaient pas de vacances et nous les envoyaient. Bien sûr, ces artisans ont préféré nous les laisser, eux-mêmes évidemment étaient inquiets sur leur sort. Nous en avons même qui sont venus sans avoir passé l’été. Au cours des mois et des années, tous les parents ont disparu. Certains sont partis au Mexique ou ailleurs, et naturellement il y en a qui ont été déportés…

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Le Pylône à Mimizan

Les enfants sont scolarisés à l’école publique de Mimizan-Plage [1]ils y côtoient la petite Arlette Farhi.
Dès la fin de 1940, la situation financière de la colonie est difficile, et il faut trouver des revenus par tous les moyens possibles (élevage de souris de laboratoire, production de fromage, tannage de peaux de moutons, tricotage, etc.).

Nous vivions tranquillement, tout allait très bien. Le soir, nous faisions réciter les leçons, les enfants étaient premiers dans leurs classes. On chantait, on jouait de la guitare, de la flûte. Nous n’étions que trois pour tout faire, c’était comme si chacune était une mère de famille avec dix enfants. La cuisine, la lessive, on se débrouillait.
Mais nous n’avions quand même pas assez d’argent, il fallait en gagner, ça c’est un épisode riche en aventures. D’abord avec cette laine des Pyrénées, nous avons vendu des pullovers aux gens du pays, mais cela n’allait pas très loin.

Christiane KOLM commence à faire de la Résistance : elle accueille à la colonie des évadés, prisonniers russes requis au chantier, aviateurs anglais, avant de les faire passer en Espagne par l’intermédiaire de charbonniers basques. Elle écoute Radio-Londres, fait des relevés des défenses allemandes.
Une lettre de dénonciation en 1941 (« on y chantait davantage ‘’L’Internationale’’ que ‘’Maréchal Nous Voilà’’») entraîne une visite des Allemands, mais sur les registres de l’école et de la colonie, les noms ont été changés (et les enfants doivent absolument les apprendre).
Lors du goûter de Noël de l’école, une dame patronnesse interdit aux enfants de la colonie de participer à la fête…

Le premier Noël, il y avait un arbre de Noël à l’école, et comme nos enfants étaient à l’école ils y avaient droit. On se débarbouille, on s’habille propre, on va à l’école. Dès que Mlle X… nous a vus, elle s’est dressée, a montré la porte: « Nous ne voulons pas de vous ici! » Elle ne voulait pas de nous, c’est tout. Je la vois toujours, montrant la porte avec son doigt, c’était terrible.
Quand les Allemands ont été là, cette Mlle X… et tout le clan qui nous voulait du mal nous ont dénoncés. Ils devaient bien se dire qu’il y avait des Juifs, de fait une de mes amies était juive. J’avais détruit les pièces d’identité des enfants juifs, modifié leurs noms, etc. Ce n’était pas compliqué, après cela nous vivions tout à fait normalement.
Un jour, j’ai donc été convoquée à la Kommandantur. Ils m’ont demandé s’il y avait des Juifs. J’ai montré les cahiers d’inscription des enfants, et cela en est resté là.

Une nouvelle dénonciation en 1942 lui vaut une convocation à la préfecture de Mont-de-Marsan., Elle s’en sort…

Les gens nous embêtaient, nous sentions de l’agressivité. Quand il y avait une distribution de pommes de terre, ils ne nous prévenaient pas, et quand nous arrivions il n’y en avait plus. Nous chantions avec les enfants, nous dansions, nous n’allions pas leur faire partager les angoisses des adultes. Les gens disaient: « C’est une honte de chanter et danser en des temps pareils ». C’est tout juste si on ne devait pas se mettre en deuil. Nous chantions dans la rue, « Marchons dans le vent… », il y a des gens qui ont juré qu’ils nous avaient entendu chanter l’Internationale !

Mais en 1942 la colonie est réquisitionnée pour loger des ouvriers venus d’Allemagne (employés à la construction de blockhaus pour le Mur de l’Atlantique).

Alors ils ont visé la colonie, qui est juste derrière la dune, à cinquante mètres du blockhaus, c’était des locaux tout trouvés.
Voilà, je reçois donc un ordre de la Kommandantur de vider les lieux dans les 48 heures. C’était commode! Avec tout notre matériel et les trente enfants.
Alors quoi faire? C’était bien embêtant. J’ai usé de subterfuge, avec l’appui du Dr Chevallereau (il est à la retraite, toujours à Mimizan) ; il a antidaté une déclaration à la préfecture de Mont-de-Marsan, comme quoi il y avait une épidémie de scarlatine à la colonie. Quand le service de santé de la Kommandantur est passé, les enfants étaient couchés avec des couvertures jusqu’au menton, rouges parce qu’ils avaient chaud, et avec peut-être un peu de mercurochrome sur les joues. Les Allemands ont très fort peur de la scarlatine. Ils ont vu cela de loin, ils n’ont pas insisté !

La colonie déménage donc à Escource et s’installe sur l’airial de Gaye, où le travail de remise en état est immense. Un potager et une basse-cour sont créés, les champs cultivés (par Daniel Kohn). Le groupe devient ainsi la « Colonie Agricole de Gaye ». Les enfants vont à l’école du village, à 5 kms de là, à pied ou en vélo…
En octobre 1942, un fils, Noël, naît à Paris (il dirigera plus tard la colonie du Pylône, devenue centre éducatif pour jeunes en difficulté).
En 1943, ils sont rejoints par le frère de Mme Christiane (prisonnier de guerre évadé), avec sa femme et leur fils.
En juillet 1943, le préfet des Landes est saisi par le préfet de Police de Paris d’une demande de retrait de la nationalité française de Daniel Kohn. Début août, le préfet recommande de ne pas lui retirer la nationalité française.

C’était déjà la fin de l’occupation. Peu à peu, des parents étaient venus récupérer des enfants, nous n’en avions plus que douze ou quinze.
A la fin de la guerre, les maris sont revenus, une de mes amies est repartie avec son mari et ses deux enfants.

Fin 1944, il ne reste que 6 enfants juifs à la colonie d’Escource.
A la fin de la guerre, ils retrouvent le « Pylône », dévasté par l’occupant. Petit à petit les enfants retrouvent leurs familles.

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Dans nos locaux de Mimizan, il restait surtout des punaises laissées par les Allemands. Il a fallu tout changer, jusqu’aux parquets. Nous avons été infestés pendant des années.
La remise en état de la colonie nous a donné beaucoup de peine, à cette époque de grande pénurie. Nous avons pu quand même accueillir de nouveau une cinquantaine d’enfants dès le premier été, mais nous étions entourés de champs de mines, ce n’était pas commode. Les services de déminage n’ont commencé leur travail que six mois plus tard. Nous ne pouvions aller ni sur la plage, ni dans la forêt, c’était trop risqué.
Et même pour aller sur la dune, nous avons attendu deux ou trois ans que tous les touristes soient passés. Les touristes nous servaient de démineurs! Les sables, c’est très mouvant, on n’est jamais sûr que les services de déminage ont tout trouvé. Il y a d’ailleurs eu trois accidents parmi les gens du pays. Nous n’en avons rien dit aux parents…

« Madame Christiane » reçut la Médaille de la Croix-Rouge ainsi que la Médaille de l’Union des Femmes de France.
La Colonie du Pylône est achetée en 1956 par le Conseil Général du Tarn-et-Garonne, puis revendue en 2018 à la mairie de Mimizan. Elle fait l’objet de travaux en 2019 pour y aménager des appartements.
Daniel KOLM décède en 1966 à Paris à l’âge de 68 ans.
Mme Christiane est ensuite assistante sociale et infirmière en Afrique. La colonie est alors dirigée par son 2e fils.

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Christiane KOLM entame des études de paléontologie et d’anthropologie. Elle est décédée le 19 janvier 1997 à Paris VIIe.

Sources :

Kolm (Noël), « Le Pylône et le « Gaye » : colonies de vacances et refuges d’enfants juifs durant la Seconde Guerre mondiale », Bulletin de la Société de Borda, 2020.

Greif (Jean-Jacques), « Mes enfants, c’est la guerre », École des Loisirs, collection Medium, 2002

https://fr.wikipedia.org/wiki/Colonie_du_Pyl%C3%B4ne

http://mapage.noos.fr/jjgreif/index.html

AD 40, Dossier de demande de retrait de la nationalité française à Daniel Kohn

Autres sources

Autres sources
1 ils y côtoient la petite Arlette Farhi