Le 8 août 1942 les gendarmes de la brigade de Saint-Justin attachés au poste de surveillance de Gaillères arrêtent une femme accompagnée de ses trois enfants au lieu-dit « Pechon », à Lucbardez, à quelques dizaines de mètres de la ligne de démarcation.

Il s’agit de Tauba FRIEDMAN/FRIEDMANN/FRAJDMANN, née le 20 octobre 1894 à Libau dans l’Empire russe (aujourd’hui Liepaja en Lettonie), fille de Nosen/Nathan et de Scheina/Jenny JOSELOWITZ/JOLOVITCH.
Domiciliée 19 rue Rochechouart, dans le IXe arrondissement de Paris, elle a épousé le 4 juillet 1922 à Paris Ve Joël ZIPSTEIN, né en 1893 à Bender/Tighina dans l’Empire russe (aujourd’hui en Moldavie), alors étudiant, puis commissionnaire en fourrures et commerçant. Ils ont trois enfants.

La famille habite 5 place Saint-Michel (Ve), puis 25 rue Serpente à Paris VIe.
Trois semaines après la rafle du Vél’ d’Hiv’, par crainte d’être « arrêtée et séparée de ses enfants » (qui sont français), Tauba et ses enfants quittent Paris le 7 août afin de rejoindre leur époux et père à Ousse (Pyrénées-Atlantiques). Celui-ci avait été peut-être intégré le G.T.E. (Groupement de Travailleurs Etrangers) d’Idron.
Le petit groupe est conduit à la gendarmerie de St-Justin, puis envoyé à Grenade-sur-l’Adour pour examen de leur situation par un policier affecté à cette tâche. Ils sont autorisés le 10 à résider (provisoirement) à Ousse (64).
Ils y retrouvent Joël et le frère de celui-ci Alexandre (qui s’enfuit le 15 septembre, et survivra).
Ils sont ensuite assignés à résidence à Lacaune (Tarn) le 8 octobre 1942 en provenance de Pau. Ils logent au Central Hôtel, mais les enfants habitent chez Bosc, une mercerie route de Castres.
Dès 1942 en effet Lacaune était devenue un lieu d’assignation à résidence surveillée pour les Juifs, de nationalité étrangère pour la plupart. Au total, 648 personnes (520 adultes et 128 enfants) furent assignées.
Ils échappent à la rafle du 20 février 1943.
Ils sont donc accompagnés de leurs enfants, âgés de 19, 17 et 15 ans :
- Alexandre Victor, né le 12 mars 1925 à Paris VIe, rapatrié le 27 septembre 1944 à Paris,« spécialiste TSF en 1946 », décédé le 10 février 1985 à Paris XIVe.
- Claude David, né le 5 janvier 1927 à Paris XIVe, décédé le 11 octobre 2007 à Paris XVe.
- Haïa Françoise, née le 28 juin 1923. Elle obtient son 1er Bac en juillet 1941.
Dès janvier 1943, Françoise est assistante sociale volontaire dans le cadre l’Union-OSE qui lui confie des groupes d’enfants à convoyer à Limoges, à Gannat (Allier) et à Toulouse. A Toulouse, elle rencontre René KLEIN (Sixième-Eclaireurs Israélites de France) et Henry POHORYLES (Armée Juive) pour se procurer de fausses cartes d’alimentation pour les Juifs cachés dans des fermes des environs de Lacaune.
En avril 1944, elle est contactée par Léon NISAND-NEUGEWURTZ et rejoint alors l’équipe de Gisèle et Reine ROMAN, Sonia HABER et Jeanine DEKHTIAR, qui accompagnent des groupes d’enfants jusqu’à la frontière espagnole. Dans l’attente du voyage, Françoise est la « monitrice maman ». Cette attente est fonction des possibilités de passage de la frontière. Il lui est arrivé de devoir patienter dix jours avec son groupe d’enfants.
Ainsi les trois fils BUCHINGER, Paul douze ans, André huit ans, Claude cinq ans, cachés avec leurs parents dans la région de Limoges :
Et c’est là qu’apparaît, au bout d’une dizaine de jours, un jeune garçon, âgé de dix-huit ans environ et faisant partie de la troupe des Eclaireurs Israélites de Limoges ; il propose aux parents de faire passer les enfants en Espagne, à condition de partir immédiatement et de réussir à prendre dans une heure à Limoges le train pour Toulouse. Pour cette première étape, il remet les trois frères à une jeune fille d’une vingtaine d’années [Françoise ZIPSTEIN] qui devait nous héberger deux à trois jours avant de poursuivre le voyage pour Perpignan avec cinq autres jeunes enfants, déjà logés chez une dame.
Le jeune éclaireur aurait disparu une quinzaine de jours plus tard, probablement arrêté par la Gestapo, et exécuté paraît-il près du camp d’Aixe-sur-Vienne.
Elle fait à plusieurs reprises le voyage Toulouse-Narbonne. Le 13 août 1944, elle se rend jusqu’au maquis espagnol d’où partent des groupes pour passer en Espagne.
Elle est résistante sous le pseudonyme de « Denise Valette ».
À la Libération, munie d’un ordre de mission oblitéré des différents cachets des FFI et de l’Organisation Juive de Combat (OJC), elle accomplit diverses missions.
Les ZIPSTEIN rentrent le 12 octobre 1944 à Paris, où ils retrouvent leur logement de la rue Serpente.
Les parents sont naturalisés en octobre 1948.
Françoise épouse en septembre 1945 Robert GERST (1915-1999), originaire de Grussenheim (Haut-Rhin).
Elle est enseignante à l’école Lucien de Hirsch, qui accueille principalement les enfants victimes des persécutions nazies puis les enfants réfugiés de Pologne, d’Égypte et d’Afrique du Nord.
Elle est décédée le 24 juillet 2018 à Strasbourg (Bas-Rhin) et inhumée au cimetière juif de Grussenheim.