La famille Zyguel
Léon Zyguel de retour des camps en 1945

La famille Zyguel

Aron Zygel (il changera l’orthographe de son nom lors de sa naturalisation afin de conserver la prononciation d’origine) est né en 1894 en Pologne. Il s’installe en 1918 à Nancy et épouse en 1920 Rachel Zamler (décédée en 1988). Ils sont naturalisés en 1929 (avec leurs quatre premiers enfants, les deux derniers le seront par déclaration). Ils sont les parents d’Hélène, née le 22 juillet 1922 à Nancy, de Marcel, né le 21 décembre 1923 à Frouard (Meurthe-et-Moselle), de Maurice, né le 3 décembre 1925 à Paris XIe, de Léon, né le 1er mai 1927 à Paris XIe (Ménilmontant), de Bernard, né en 1931, et enfin de Charles, né en 1934.

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La famille Zyguel en 1938-1939

Aron, successivement ajusteur, marchand des quatre saisons, peintre, ouvrier métallurgiste (chez Renault), est raflé le 20 Août 1941 et interné à Drancy, qui vient d’ouvrir.

Léon continue à aller à l’école quelques mois puis doit travailler.

« J’étais donc en bleu de travail avec mon blouson sur le dos et mon étoile jaune. J’attendais là qu’on me traite mes pièces, et je voyais les ouvriers qui étaient devant les fours qui se retournaient, qui se parlaient entre eux et tout étonnés de me voir, et surtout frappés de cette étoile, c’était à Boulogne. Et sans que je sache d’où c’est arrivé, d’un seul coup il y a un ouvrier qui est arrivé par derrière moi, il m’a pris ma main, il m’a mis de l’argent dans la main, et il est parti. Et ça, ça m’a fait chaud au cœur, comme vous pouvez l’imaginer. Voilà, quelquefois des actes comme ça, de fraternité et puis de soutien ».

Après la rafle du Vél’ d’Hiv’, Rachel se résout à faire passer ses enfants en zone sud. Les quatre plus grands partent les premiers, leur mère doit les rejoindre avec les deux plus petits.

Ils sont arrêtés dans les Landes le 26 juillet 1942, dans le bus à quelques kilomètres de la ligne de démarcation par la Feldgendarmerie allemande.

« Bien sûr, on n’avait pas nos cartes d’identité, c’était pas possible avec le tampon dessus, donc on avait simplement un extrait de naissance. Il nous a fait descendre du car et puis d’autres personnes aussi pour contrôle, et on a dit on vient passer nos vacances à tel endroit. Ça a été l’interrogatoire dans les conditions de brutalité que vous pouvez imaginer, et puis il a fallu avouer que nous étions juifs. Parce que ça a été après, ‘baisse ta culotte’ ».

Remis aux gendarmes français ils sont internés à la prison d’Orthez quelques jours, puis transférés au camp de Mérignac le 31 juillet.

Ses frères Marcel et Maurice tentent de s’évader dans la nuit du 5 au 6 août.

« Marcel nous a dit la chose suivante, ‘ Toi Léon, tu risques rien, nous sommes français, tu es français, tu n’as que quinze ans, ils ne peuvent rien contre toi, ils vont être obligés de te libérer quand tu auras accompli la peine dont on est frappés ‘. Nous, par contre, Maurice et moi, on risque la déportation, on ne savait pas encore ce que signifiait exactement la déportation. On va s’enfuir, on va tenter l’évasion pour essayer de survivre. Un soir l’alerte a sonné parce que nous étions près d’un camp d’aviation, toutes les lumières se sont éteintes, y compris celles des miradors, mes frères ont brisé une fenêtre, et ils sont sortis donc de la baraque. Marcel a réussi à passer d’abord la palissade sur le chemin de ronde, et ensuite il a grimpé le grillage, et arrivait pour sauter. Arrivé au bout, il a chuté à l’extérieur dans les barbelés, un réseau de barbelés, et ça, ça a donné l’éveil, parce que quand on remue des fils de barbelés comme ça, ça se répercute. Mais lui, il a réussi à se sauver. Mon frère Maurice, par contre, qui était encore sur le chemin de ronde, a été rattrapé après une course poursuite, ils ont tiré sur lui à plusieurs reprises, heureusement sans l’atteindre, et dès qu’il a été attrapé, ils l’ont mis dans la baraque des otages, à l’intérieur du camp. Vous pouvez imaginer ce que ça pouvait signifier la baraque des otages à l’époque ».

Marcel (décédé en 2010) rejoint à Paris sa mère et ses deux petits frères, ils se cachent à Montreuil, puis en Zone Sud jusqu’à la Libération.

« Dès qu’il s’est évadé, l’alerte a été donnée, en pleine nuit, on nous a sortis, bien sûr, moi j’étais sorti du lit, je savais qu’il était parti, j’ai été interrogé chez le chef du camp, avec brutalité, avec des coups, il fallait décrire mon frère, comment il était habillé, et ses éventuels points de chute dans la région parisienne. Alors j’ai dit n’importe quoi, il était pas question que je décrive l’aspect de mon frère. Ils ont interrogé Maurice qui était dans la baraque des otages, et lui a raconté aussi n’importe quoi, ça collait pas. A plusieurs reprises, on a été interrogés, frappés à coups de poing et à coups de pied, et puis moi, je leur ai dit : « Vous pouvez rien contre moi, je suis français et je n’ai que quinze ans ». Ça a été un gros éclat de rire, une claque magistrale, et puis chassé du bureau à coups de poing et à coups de pied.

Le 26 août 42, rassemblement sur la place d’appel. Nous étions rassemblés, on nous a comptés, et à ce moment-là, ils ont sorti mon frère Maurice, de la baraque des otages. Il était dans un coin de la place d’appel, menottes aux mains. Et moi, je l’avais pas vu depuis trois semaines, j’étais un pauvre petit gamin, les larmes aux yeux j’ai dit au garde qui était là : ‘Monsieur, c’est mon frère ! Je veux aller avec mon frère !’ ‘Ah bon, tu veux aller avec ton frère ?’ Il m’a attrapé par le col de ma veste, il m’a traîné vers mon frère, et il nous a attachés tous les deux. La gendarmerie française est venue chercher ceux qui devaient partir. Et nous, nous étions seuls dans le coin. Le brigadier a dit au chef de camp : ‘Et ces deux-là, là-bas, le chef de camp a dit : Attention, ce sont les individus dangereux pour tentative d’évasion’. Vous voyez, Maurice avait seize ans et demi, et moi j’en avais quinze, vous voyez, les individus dangereux ».

Hélène, Léon et Maurice sont ensuite transférés au camp de Drancy le 26 août, où ils retrouvent leur père Aron.

« Alors, imaginez le désespoir d’un père qui est interné depuis un an dans un camp, et qui croit que ses enfants sont en sûreté quelque part, tranquilles, et qui les voit arriver dans le camp de concentration. Pour lui, ça a été douloureux comme on peut se l’imaginer ».

Déplacés ensuite au camp de Pithiviers, ils sont déportés au camp d’Auschwitz-Birkenau par le convoi n° 35 du 21 septembre 1942.

« Le 20 septembre 1942, nous avons été rassemblés et dirigés vers la gare de Pithiviers. Sur les quais de la gare, des inspecteurs français en civil avaient installé toute une rangée de table, et ils nous fouillaient, ils prenaient tout ce qui pouvait les intéresser, y compris la pauvre nourriture que nous avions dans les valises, les bijoux enlevés, dont les boucles d’oreilles aux petites gamines, les colliers, enfin ils prenaient tout. Et ils nous ont remis donc à la police, à la gendarmerie allemande et aux soldats allemands. On a été embarqués dans ces trains de marchandises, à quatre-vingt ou cent par wagon, dans des conditions absolument épouvantables, une promiscuité difficile à supporter, sans eau, sans nourriture, et on manquait d’air puisque les quatre petites fenêtres à chaque coin du wagon étaient grillagées, barbelées. C’était pas suffisant pour tous ceux qui étaient entassés dans ce wagon. Il a fallu faire régner la discipline pour faire le tour de rôle pour pouvoir respirer un petit peu aux fenêtres. Et puis aussi pour les besoins, un tonneau métallique dans un coin du wagon où on devait faire nos besoins dans les conditions que vous pouvez imaginer, et puis quand le train roulait, quand le fût était plein, il fallait essayer de le vider par les petites fenêtres du wagon, inutile de vous dire qu’il en tombait autant à l’extérieur qu’à l’intérieur ».

Trois jours de « voyage »…

Aron, Maurice et Léon sont sélectionnés à l’arrêt de Kosel pour le travail forcé. Léon est affecté dans divers kommandos (Eichtal, Auschwitz III, etc.). Hélène est gazée à l’arrivée à Auschwitz.

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Hélène Zyguel

« …. Le travail était essentiellement du terrassement, creuser des tranchées, décharger des wagons de marchandises, des rails de chemin de fer, les installer sur des voies, c’était absolument épouvantable. Le tout, toujours au pas de course, toujours sous les coups, toujours sous les injures, avec à peine de quoi se nourrir. Survivre dans un camp de concentration, dans un camp de travaux forcés, c’est un acte de résistance incroyable. On ne peut pas survivre dans ces camps sans conserver sa dignité. Sans l’Amitié, sans la Solidarité, c’était impossible… »

Outre le travail, il faut le soir enterrer les morts de la journée. Maurice, 16 ans, et Léon, 15 ans, sont désignés pour le commando des croque-morts. Et, le matin, en guise de représailles quand les «chambres» ne sont pas assez propres au goût des SS, dix coup de nerf de bœuf, «ça cisaille les chairs, c’est atroce», sous les yeux du père que des camarades retiennent.

La santé de son père décline ; il est envoyé dans un « camp sanitaire » en juin 1943. Léon ne le reverra plus.

«On s’est dit au revoir, sachant qu’on ne se reverrait plus. C’est ce qu’il fallait pour ne pas pleurer et survivre. On était transformés. Cette dureté, cette pudeur, c’était nouveau».

Léon Zyguel affirmait qu’il avait survécu à la déportation en gardant sa «dignité d’homme», se lavant tous les jours, se mouchant dans un morceau de papier, laçant ses chaussures et ficelant sa défroque. Mais que sans arrêt, depuis 52 ans, il lui revenait des «choses en tête» comme ces rats qui sortaient des cadavres ou les fleurs que les nazis avaient plantées autour des fours crématoires. Qu’il lui venait aussi des larmes aux yeux lorsqu’il voyait le vêtement rayé d’une femme, sentait une odeur ou apercevait une cheminée « qui crache un peu noir ».

En janvier 1945, les deux frères sont évacués lors des « marches de la mort ». Pendant 12 jours, ils marchent, sans manger, dans le froid et la neige, et arrivent au camp de Gross Rosen, d’où ils sont de nouveau transférés, quelques jours plus tard dans des wagons de marchandises découverts (alors que la température extérieure est de – 15°) vers Buchenwald (10 février 1945).

Placés sous la protection de détenus communistes de Buchenwald, ils rejoignent l’organisation clandestine et prennent part à la libération du camp, le 11 avril 1945.

« … Moi, qui étais le numéro 179084, que j’ai, tatoué, sur le bras, d’un seul coup je suis devenu « un Homme » et un combattant. Le groupe de Français, qui étaient là, nous ont soutenus, aidés, et nous sommes rentrés dans la bataille… ».

Le 19 Avril 1945, sur la place d’appel, une cérémonie de commémoration, initiée par le Comité International de Résistance du Camp, se déroule devant un obélisque en bois, réalisé à cet effet par les déportés, pour leurs compagnons de détention décédés. Les prisonniers jurent de continuer le combat jusqu’à l’éradication définitive du nazisme, et de s’engager à reconstruire un monde de Paix et de Liberté. Cette déclaration est entrée dans la Mémoire, en tant que ‘Le Serment de Buchenwald’. Léon y participe. »

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Léon Zyguel en 1941, 1945 et 1946

Léon rentre à Paris le 1er mai 1945, le jour de ses 18 ans. Il retrouve, avec Maurice, sa mère et 3 de ses frères. Il devient ouvrier maroquinier, se marie et vit à Montreuil où il poursuit son engagement militant au sein du parti communiste. Révulsé par le racisme et par le négationnisme, il participe activement à la transmission de la mémoire de la Shoah, auprès des élèves, et témoigne au procès Papon en janvier 1998.  Il cofonde en 1997 le Comité «École de la rue Tlemcen» visant à rendre hommage aux nombreux enfants de cette école qui furent déportés parce qu’ils étaient Juifs. Ce comité est à l’origine de l’initiative d’inscrire, sur chaque école parisienne, les noms des enfants déportés. Il se rend aussi au procès d’assises à Paris, contre Pascal Simbikwanga, responsable rwandais reconnu coupable du meurtre de milliers de victimes du génocide des Tutsis au Rwanda et condamné à 25 ans de prison.

« Je suis, toute ma vie, resté fidèle au Serment prononcé, avec mes camarades, le 19 Avril 1945, sur la place d’appel de Buchenwald, où nous avons juré de nous battre jusqu’au bout pour la Paix, la Liberté, la Dignité et le Bonheur des Hommes. A ce jour, je crois avoir eu une vie pleine et entière, conforme à mon engagement. Mais, comme mes camarades survivants, j’ai le souci du passage de relais auprès des jeunes. Nous ne voulons pas être entendus simplement, comme témoins du passé, mais aussi, comme militants de l’avenir, militants de la Vie. »

Il est décédé le 29 janvier 2015 à Montreuil.

Un « Jardin Léon Zyguel », situé dans le XXe arrondissement, a été inauguré en 2017.


Sources

Retrouvez le témoignage complet de Léon Zyguel ici : https://entretiens.ina.fr/memoires-de-la-shoah/Zyguel/leon-zyguel/sommaire

Mémorial de la Shoah.

https://asso-buchenwald-dora.com/leon-zyguel-1925-2015/)

https://memoiresdesdeportations.org/personne/zyguel-leon

https://afmd.org/fr/leon-zyguel.html


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