Nés le 6 mars 1929 et le 2 avril 1931 à Paris (XVIIIe), ils sont fils de Roman dit « Robert », coiffeur, et d’Anna Markoff, violoniste, d’origine russe (réfugiés à Pau, Anna et Rouman Joffo sont arrêtés en 1942 et internés au Stadium de Pau. Ils seront libérés grâce à l’intervention de leur fils Henri. Arrêté à Nice en octobre 1943, Rouman est déporté à Auschwitz le 20 novembre 1943).
La famille habite 86, rue de Clignancourt dans le XVIIIe arrondissement.
Dans son roman à succès « Un sac de billes », paru en 1973 (vendu à 20 millions d’exemplaires dans une vingtaine de pays, et adapté deux fois au cinéma, en 1973 par Jacques Doillon et en 2017 par Christian Duguay, avec Patrick Bruel), Joseph raconte leur histoire :
Subissant l’antisémitisme et l’occupation allemande, les deux frères quittent Paris en 1941 sans leurs parents, le père estimant que la fuite en petit groupe augmente leurs chances de passer la ligne de démarcation. Ils prennent le train pour Dax, où ils sont contrôlés par les Allemands. Ils sont sans papiers, mais un prêtre les sauve en prétendant qu’ils l’accompagnent.
Ils passent ensuite la ligne de démarcation à Hagetmau, aidés par Bernard Hejblum, un passeur âgé d’une quinzaine d’années.
Ils gagnent ensuite Menton où habitent leurs frères Henri et Albert, puis Nice (été 1942), où la famille est réunie.
La zone est alors occupée par l’armée italienne, et donc moins dangereuse pour les Juifs, mais la région est bien vite envahie par les Allemands en septembre 1943.
Maurice et Joseph sont envoyés se cacher dans un camp pour la jeunesse pétainiste (« Moisson Nouvelle ») à Golfe-Juan. Mais de passage à Nice, ils sont arrêtés et conduits à la Gestapo. Ils se prétendent catholiques, mais ne peuvent en fournir la preuve. Prévenu de la situation par le curé de l’Église Saint-Pierre d’Arène (Nice), Monseigneur Paul Rémond rédige deux certificats de baptême et deux certificats de communion solennelle pour Joseph Joffo et Maurice Joffo ainsi qu’une lettre manuscrite dans laquelle il exige la libération des deux enfants, se déclarant prêt si nécessaire à se rendre au siège de la Gestapo en personne. Libres, ils retournent à « Moisson Nouvelle » mais doivent vite fuir à nouveau.
Après un passage par le Cher, les deux enfants se réfugient jusqu’à la Libération à Rumilly, en Haute-Savoie. Ils ont chacun un travail. Maurice travaille dans un restaurant où sa débrouillardise fait merveille pour améliorer la carte. Joseph est commis dans une librairie pétainiste.
A la Libération, ils retrouvent dans le salon de coiffure parisien tous les membres de la famille, à l’exception de leur père, assassiné à Auschwitz…
Joseph, devenu écrivain, épouse Brigitte Flaiszler. Il est décédé le 6 décembre 2018 à St-Laurent-du-Var (83).
Maurice, devenu « coiffeur des stars » et restaurateur, épouse Yveline. Il est décédé le 12 août 2021 à Cannes (06).
« Un sac de billes » : les Landes se souviennent
Un nouveau film tiré du best-seller de Joseph Joffo sort mercredi sur les écrans. En Chalosse, on se rappelle de ce sombre épisode.
Le chemin de terre qui surgit du bois et longe la mare n’a pas dû beaucoup varier d’aspect. La ferme Larriet non plus, avec son corps principal planté là à la toute fin du XVIIIe siècle. C’est sur cette terre de Chalosse que les deux frères Joffo, Joseph et Maurice, ont surgi après avoir suivi nuitamment le cours sinueux du Louts. En zone libre, enfin. C’était en 1941. Sauvés de l’arrestation par un prêtre en gare de Dax, guidés par un jeune du pays ([sic] contre 500 francs de l’époque, les deux enfants juifs venaient de franchir la ligne de démarcation à Hagetmau. Cette petite ville du sud des Landes figurait une frontière poreuse entre zone occupée et zone libre. Les deux moitiés de France étaient coupées l’une de l’autre depuis juillet 1940. La ligne de démarcation suivait pour l’essentiel le tracé de l’actuelle RD 933, la route qui relie Mont-de-Marsan à Orthez.
Passé le pont sur le Louts, Michel Marsan, un historien local qui a écrit « Hagetmau 1920 – 1950 », un ouvrage très documenté sur les années de guerre, désigne le bois qu’ils ont longé au-dessus du golf, la ferme Lariet, où ils ont trouvé refuge, dans le no man’s land entre les postes de contrôle français et allemand, et la route de Monségur, qui s’appelait liberté.
Cette fuite éperdue de deux enfants parisiens vers la Méditerranée via les Landes est l’un des moments forts d’un best-seller publié en 1973, « Un sac de billes ». Le récit autobiographique de Joseph Joffo, dont c’était le premier livre, a rencontré un immense succès de librairie. Adapté au cinéma dès 1975 par Jacques Doillon, il inspire un nouveau film éponyme qui sort ce mercredi sur les écrans français. Hagetmau n’a nul besoin de ce long-métrage signé Christian Duguay pour se remémorer les années noires. A la table de la ferme Larriet, Michel Geyre tient entre les mains les photos du retour sur les lieux de Joseph Joffo, au début des années 1970. En 1941, c’est sa grand-mère qui régnait sur la petite exploitation de 15 hectares. « Ils ont dormi là-haut, dans le foin », montre Michel Geyre en désignant une dépendance. « Ils n’étaient ni les premiers, ni les derniers. De nombreux réfugiés sont passés par ici à cette époque avant de poursuivre leur route. Et ne croyez pas qu’on s’est enrichi hein ! On ne prenait pas un sou », appuie-t-il, l’œil soudain charbonneux.
Les réseaux de passeurs
La précision ne relève pas du hasard. A Hagetmau comme ailleurs, elle souligne la difficulté à parler des réseaux de passeurs de la ligne de démarcation. Certains aidaient les réfugiés, juifs ou pas, de manière parfaitement désintéressée. D’autres monnayaient leur connaissance fine des environs. De grosses sommes d’argent passaient de main en main à l’ombre des fourrés. « L’omerta n’a jamais été levée », sourit malicieusement Michel Marsan,. L’itinéraire des frères Joffo était tracé d’avance. A Paris, on savait qu’il y avait là un maillon faible de la ligne de démarcation. Il fallait prendre le train en gare d’Austerlitz, grimper dans le car rouge d’une des deux compagnies qui assurait la liaison routière Dax-Hagetmau et se débrouiller pour passer en zone libre, à l’est. « Alors qu’il y avait de nombreux contrôles à Dax comme à Orthez, le dispositif allemand était plus léger à Hagetmau. Les juifs français tentaient leur chance, les étrangers aussi. Il y avait énormément de bistrots à Hagetmau, les réfugiés mangeaient là. C’était connu ! » raconte Michel Marsan. Sur la route de Samadet, du « bon » côté, une flopée de taxis attendaient les clients. Les voitures enfournaient quatre ou cinq personnes à la fois et filaient vers Pau. De là, les réfugiés reprenaient la route vers la Méditerranée. Les deux frères Joffo ont suivi le flot. Ils ont retrouvé leurs parents à Menton, près de la frontière italienne. C’est sous le pont du XIXe siècle qui enjambe le Louts que Joseph et Maurice avaient rendez-vous avec leur jeune passeur. Aujourd’hui piquetés de maisons, les environs étaient alors vides de présence humaine. « Il n’y avait que des prairies. En journée, les Allemands surveillaient les allées et venues depuis le haut d’une cheminée industrielle. C’est pour cette raison qu’il fallait tenter sa chance à la nuit tombée », poursuit l’historien.
Maurice revient sur l’épisode du passage de la ligne de démarcation entre la zone occupée par les Allemands et la zone libre, au sud, épisode qui précède l’arrivée des deux frères dans le Midi. Avec la complicité d’un garçon-boucher à qui Maurice a payé une limonade, les deux petits Joffo parviennent à déjouer la surveillance des soldats du Reich à Hagetmau, dans les Landes. Enhardi par ce succès, Maurice repasse dans la nuit en zone occupée et facilite le passage d’un groupe d’une dizaine de Juifs traqués. Maurice ne perd pas son sens du commerce : il se fait payer et empoche 20.000 francs, une belle somme pour l’époque. « On ne l’a pas mis dans le livre parce qu’un Juif qui fait payer d’autres Juifs, ça aurait été mal compris. Mais ils auraient dû payer un passeur, autant que ce soit moi », m’explique-t-il.
(Source : Sud-Ouest, article de Jean-Denis Renard)