Rudolf NEUSTADTL : de Vienne à Vienne, en passant par l’Italie, la Suisse, Grenade-sur-l’Adour, l’Espagne, la Palestine, et l’Italie…

Rudolf NEUSTADTL : de Vienne à Vienne, en passant par l’Italie, la Suisse, Grenade-sur-l’Adour, l’Espagne, la Palestine, et l’Italie…

Rudolf Gustav NEUSTADTL est né le 15 janvier 1907 à Vienne (Autriche), au 18 Grosse Neügasse, fils de Max, docteur en droit, commissaire en chef des chemins de fer fédéraux autrichiens (né en 1878, social-démocrate, travaille à la Société Adriatica, ligne de Trieste, devenu plus tard administrateur de biens) et d’Hélène VOGEL (née en 1882). La famille habite ensuite au 13 Argentinierstrasse.

Vienne, c’est la ville de Sigmund FREUD et de Stefan ZWEIG, mais elle connaît une montée de l’antisémitisme entre les deux guerres.

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Acte de naissance de Rudolf (Registre des Israélites)
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L’immeuble du 18 Grosse Neugasse à Vienne

Vienne

Après des études de droit à l’université de Vienne (1925), il obtient son doctorat le 12 décembre 1933, et devient avocat, mais les interdictions professionnelles établies par les Nazis envers les Juifs après l’Anschluss en mars 1938 l’obligent à se diriger vers une formation en cosmétique et coiffure (son père devient cuisinier…).


Exil

Le 16 mai 1938, son père Max remplit une demande d’autorisation d’émigration, mais la famille fuit Vienne le 6 juillet en direction de Trieste (Italie), puis de Zürich (le 28), où elle reste près d’un an. Il devient alors de plus en plus difficile pour les Juifs de quitter l’Autriche et d’entrer en Suisse, tandis qu’en Italie, les Juifs sont désormais dans le collimateur du régime fasciste. C’est aussi en cette année que se déroule la Conférence d’Evian (du 6 au 15 juillet), consacrée au sort des réfugiés juifs, qui se solde par un échec. On compte environ 10.000 réfugiés juifs en Suisse à la veille de la guerre.

En France

La famille NEUSTADTL entre en France le 6 juin 1939 et s’installe à Paris.

Meslay-du-Maine

A la déclaration de guerre, en tant que ressortissant d’un pays ennemi, Rudolf est interné le 7 septembre 1939 au Stade de Colombes (avec plus de 2.000 autres prisonniers allemands ou autrichiens, dont le peintre Hans HARTUNG), puis transféré au Camp de Meslay-du-Maine en Mayenne jusqu’en mars 1940. Les conditions de vie y sont très difficiles (un film y a été tourné par le directeur).

Il obtient alors le statut de réfugié et devient au même moment « prestataire pour l’armée »
En effet la circulaire du 13 janvier 1940 précise que les étrangers et apatrides bénéficiant du droit d’asile sont autorisés à s’engager comme travailleurs étrangers au service de l’Armée française. Ces prestataires étaient des hommes qui acceptaient de soutenir l’Armée française ou les troupes britanniques combattant en France en tant que travailleurs civils sous tutelle militaire (service sans armes). Rudolf est employé à des travaux de terrassements dans la région de Blois (4e Dépôt d’Artillerie?).

Lourdes

Survient la défaite des armées françaises et l’Exode, et le camp est évacué le 17 juin 1940 vers Angers, puis Montpellier, et enfin Albi (Camp de la Viscose, quartier St-Antoine). Il rejoint ensuite ses parents à Lourdes (au 9 rue St-Félix – un hôtel -, où ses parents se trouvent après avoir fui Paris le 12 juin).

Annemasse

A la fin du mois de septembre 1942, ils quittent Lourdes pour tenter de passer en Suisse, mais ils sont arrêtés début octobre en voulant franchir la frontière à Annemasse.

Rivesaltes

Ils sont internés au camp de Rivesaltes en provenance d’Annemasse le 6 octobre 1942.

Drancy

Rudolf est alors sélectionné pour la déportation et transféré le 20 octobre à Drancy, mais il parvient à s’enfuir de la Gare du Bourget.

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Grenade et Pau

Cherchant ensuite à rejoindre la Zone non occupée, il est arrêté le 26 octobre à Grenade-sur-l’Adour (pour « usage de fausse carte d’identité de Français »), et il tente de se suicider à l’aide d’un couteau. Transféré le 27 à la maison d’arrêt de Pau, il est condamné le 18 novembre par le Tribunal correctionnel de cette ville à un mois de prison pour usage de fausse carte d’identité.

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Rudolf réclame son couteau – AD 64 – 72 W 260
Gurs

Toute la famille est réunie au camp de Gurs, ses parents y étant transférés le 26 novembre, Rudolf le 28 vers 22h30.
Sans doute averti de la formation d’un convoi pour Drancy, il parvient à s’évader le soir du 24 février 1943.


Son père est transféré le 27 à Drancy, d’où il est déporté sans retour à Sobibor le 25 mars.
Sa mère est quant à elle libérée du camp et assignée à résidence au Château du Doux à Altillac-près-Beaulieu en Corrèze le 22 juin. Elle rejoindra ensuite son fils à Haïfa en septembre 1945.

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Mme NEUSTADTL – Archives Bad Arolsen

Espagne

Arrêté après le passage de la frontière, Rudolf est interné à Pampelune (sous la fausse identité de Ralph NEVIL) du 14 mars au 13 avril 1943, et ensuite placé en résidence forcée à Leitza (Pays Basque), puis aux Thermes de Sobron et à Murguia (au sud de Bilbao).

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A Sobron, la parcimonie des départs a suscité de nombreuses tentatives d’évasion, qui, elles-mêmes, ont provoqué un durcissement des conditions d’internement : cercle vicieux que produit inévitablement le faible débit des convois. C’est ce qui a incité, le 14 octobre 1943, le chef de groupe des internés français de Sobron, à écrire la lettre qui suit, à l’Ambassadeur des Etats-Unis à Madrid :

Excellence,
J’ai l’honneur de porter à votre connaissance les conditions actuelles dans lesquelles vit le groupe de Sobron, c’est à dire 108 Français et 12 apatrides. Depuis le départ pour l’Afrique du 22 septembre 1943 – départ qui fut composé de 387 Français – des évasions successives se sont produites et ont plongé le groupe dans une situation lamentable. Le rapport rédigé en Anglais et qui se trouve ci-joint, vous indiquera par quels moments affreux nous sommes passés. La Croix Rouge française a reçu depuis septembre un rapport identique et n’est intervenue en aucune façon dans l’amélioration de notre sort. A différentes reprises nous avons envoyé des appels poignants à la Croix-Rouge française tant à Madrid qu’à Bilbao, centre duquel nous dépendons directement. Toujours, ces appels sont restés sans réponse et je me permets de croire que l’administration française nous a complètement oubliés.
Aussi, c’est dans un grand élan de confiance que je m’adresse à votre Excellence, afin que vous preniez notre protection et que vous interveniez directement dans les affaires relatives au groupe de Sobron. Depuis que ce rapport a été établi, les conditions de vie n’ont guère changé, si ce n’est le retour en chambres et une liberté arrêtée à vingt mètres du balnéario par des fils barbelés, ce qui n’empêche pas que nous sommes toujours considérés comme des prisonniers de droit commun pour des fautes dont nous ne sommes pas responsables. Je sais très bien qu’à Madrid le groupe de Sobron jouit d’une très mauvaise réputation, mais on ne peut se permettre de juger un groupe aussi important sur les faits et gestes de quelques mauvais individus qui – et c’est un comble – étaient déjà partis lors du départ régulier ou se sont évadés.

Signé Gaston BERTRANET

http://musee.delaresistance.free.fr/en%20ligne/bios/bertranet.html

Palestine

Il obtient un visa à l’ambassade britannique à Madrid et gagne la Palestine mandataire, où il arrive le 1er février 1944. Il y est employé par divers organismes liés aux forces armées britanniques et habite à Kiryat Bialik, dans la périphérie de Haïfa.

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Kiryat Bialik en 1944


Grâce à l’UNRRA [1]Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction il est rapatrié, quittant la Palestine avec sa mère le 26 février 1947 pour revenir à Vienne le 29 avril (via l’Italie).

Vienne

De juin à septembre 1947, il est employé à la section G-4 (entrepôt d’approvisionnement civil) de l’USFA [2]United States Forces in Austria comme comptable. Il intègre ensuite divers cabinet comme conseiller juridique.
Il est à cette époque pris en charge par l’IRO [3]International Refugee Organization, et émet le désir d’émigrer aux Etats-Unis, au Canada ou en Australie.

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Demande de prise en charge par le PCIRO (Preparatory Commission for the International Refugee Organization) – Archives Bad Arolsen

Le retour dans sa ville natale semble difficile. Ainsi il déclare :

Je n’ai toujours pas pu m’installer. Même deux ans après mon retour, je dois encore vivre à l’hôtel car on refuse de me louer un appartement. Deuxièmement, je subis toujours l’antipathie raciale à laquelle je suis confrontée en Autriche, et c’est une autre raison pour laquelle je veux partir. Je ne veux pas me retrouver aujourd’hui ou demain dans la même situation qu’en 1938.

Archives Bad Arolsen


Sa mère décède en 1967, Rudolf 3 décembre 1991 à Vienne, où ils sont inhumés.

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En 2022, un « stolpersteine » a été installé sur le trottoir devant le 13 de la rue Argentinierstraße à Vienne. Il rappelle la persécution de cinq résidents juifs de la maison : Max Neustadtl, Rudolf Gustav Neustadtl, Helene Neustadtl, Hilda Schabel et Hans Groedel.

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Sources :

Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques : 72 W 260 (Fonds du camp de Gurs)

Archives de Bad Arolsen

Autres sources

Autres sources
1 Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction
2 United States Forces in Austria
3 International Refugee Organization