Monique et Jacqueline Ségal (Saigal)
Monique et sa soeur

Monique et Jacqueline Ségal (Saigal)

Monique est née en 1938 à Paris, sa sœur en 1940, elles sont les filles d’Aron et de Rachel Leiba, d’origine roumaine.

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Les parents de Monique

Son père, engagé dans l’armée française en 1939, est tué dans une tranchée le 13 juin 1940 à l’âge de 23 ans (« Mort pour la France »), mais sa mère ne l’apprend que 2 ans plus tard. Elle se retrouve donc seule avec ses deux fillettes et la mère de son mari. La jeune femme doit donc travailler dur pour faire subsister sa petite famille.

Le 24 août 1942 la grand-mère de Monique, craignant une autre rafle du Vel’d’Hiv décide de la mettre à l’abri. Elle la « jette » dans un train en marche qui emportait des enfants, pupilles de la nation, comme elle. Ils partaient passer un mois de vacances dans une famille d’accueil du sud-ouest de la France (sous couvert du « Secours National »).

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Rivka Leiba, la grand-mère de Monique

« Arrivée à Dax, dans les Landes, personne n’était là pour m’accueillir puisque je n’étais inscrite nulle part. Sur le quai, je suis en pleurs, accrochée au bras d’un grand garçon, et voilà qu’une jeune femme de 20 ans, Jacqueline Baleste me remarque et me prend dans ses bras. Elle était venue avec son père, Bertrand dit « Sébastien » Baleste, grand blessé de la guerre de 1914, épicier, chercher un petit garçon de 4 ans qui n’était pas là. Alors, elle a demandé au maire de Dax (M. Milliès-Lacroix) en charge de ce convoi si elle pouvait me prendre. Il a accepté et elle m’a dit plus tard : ‘J’ai tout de suite été attirée par toi, tu étais si mignonne. Un ange t’a envoyée vers moi’. Arrivées à la voiture, j’ai dit : ‘Il faut attendre papa’, mais par la suite, j’ai refusé de parler pendant plusieurs jours. Après une heure de route, nous étions à Lüe, petit village de 500 habitants. Là, j’ai rencontré toute la famille Baleste : la mère, les grands-parents, la tante et la cousine qui m’ont accueillie avec joie. La maison avait un jardin rempli de fleurs et une basse-cour avec des poulets et des lapins avec qui plus tard j’ai pris goût à converser. On m’avait donné une poupée que j’ai immédiatement déchiquetée avec rage. Je dormais dans la chambre des grands-parents, une chaise à mes côtés, car il m’arrivait de tomber du lit.

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Lüe

Je devais repartir à Paris, le 26 septembre, au grand désespoir de la famille Baleste qui s’était attachée à moi. Cependant une catastrophe arriva. Le 24 septembre 1942, jour de la rafle des Juifs roumains à Paris, deux policiers français vinrent rue des Panoyaux arrêter ma grand-mère, une juive roumaine pour l’emmener à Drancy. Elle n’était pas à son domicile mais la concierge renseigna la police. ‘Rivka Leiba est chez sa fille, c’est là que vous l’y trouverez’. Horreur d’une collaboratrice qui vous dénonce à l’ennemi ! Très bientôt, la sonnette, m’a-t-on dit, retentit à la porte de notre appartement, 144 boulevard de Ménilmontant, Paris XXe. On entendit un coup très fort et une voix tonitruante : ‘Police, ouvrez’ ! Effrayée, ma grand-mère pensa immédiatement à son fils, mon oncle Daniel qui se trouvait chez nous. Il avait 19 ans. Elle se précipita vers lui et le poussa dans la chambre du fond en lui demandant de se cacher sous le matelas. Ma petite sœur, Jacqueline de 2 ans mangeait dans la cuisine, mais elle n’intéressait pas le policier. Il ordonna à ma grand-mère de prendre une valise et d’y mettre quelques effets car elle ne partait que pour quelques jours, ajouta-t-il.  Ma grand-mère pressentit le pire. Elle voulut éviter qu’on fouille l’appartement. Il ne fallait pas qu’on découvre mon oncle, jeune résistant.  Elle déclara : ‘Pour aller là où je vais, je n’ai besoin de rien’. Ce sont les dernières paroles de sa mère que mon oncle a entendues. Le policier emmena Rivka à Drancy et  quinze jours plus tard, elle fut gazée à Auschwitz-Birkenau. Aujourd’hui, son nom figure sur le mur des déportés au Mémorial de la Shoah. Elle est immortelle.

Après le départ de sa mère, mon oncle a quitté l’appartement avec ma petite sœur et contacté ma mère à son travail pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Elle a immédiatement envoyé un télégramme à la famille Baleste pour leur demander s’ils pouvaient me garder un peu plus longtemps et trouver une famille pour Jacqueline. M. Baleste répondit qu’il me garderait aussi longtemps qu’il le fallait et par bonheur, ils connaissaient une dame veuve, sans enfants, Mme Pinaud, qui vivait à Labouheyre, un village voisin. Elle a tout de suite accepté de prendre ma petite soeur. La famille Baleste était ravie de me garder plus longtemps car elle m’aimait comme leur fille.

Cependant, deux officiers allemands logeaient chez les Baleste, alors, pour plus de sécurité, on me baptisa avec l’accord de ma mère. Jacqueline Baleste devint et reste toujours ma très chère marraine. Je fus donc élevée dans la religion catholique et je me souviens encore de toutes mes prières. J’aimais beaucoup le curé du village qui me donnait des leçons de piano. Dans la chambre où je dormais, se trouvait une photo de mes parents pour que je ne les oublie pas. Séparée de ma mère, je l’idéalisais. Je me souviens qu’un jour, pendant la guerre, elle vint me voir à Lüe, en cachette. Un camion avait apporté sa valise et son manteau que je ne cessais d’embrasser. Elle était arrivée peu après à bicyclette avec son frère, et un soldat qui fréquentait une femme du village lui annonça que ma mère était juive. Un étranger du village le lui avait révélé. La villageoise courut vite avertir les Baleste qui cachèrent ma mère dans le grenier. Un policier allemand vint le soir, vers 23 heures, avec un chien, mais il parcourut le jardin, sans demander à entrer dans la maison. Ce n’était donc pas un Nazi ».

La mère et l’oncle de Monique et Jacqueline prennent le premier train à Labouheyre à 5 heures.

Rachel décida de ne plus revenir pour ne pas mettre l’enfant en danger. Monique Segal demeura chez les Baleste jusqu’en 1950, date à laquelle Rachel, remariée, put à nouveau assumer la responsabilité de ses filles. Pendant les huit années qu’elle avait passées chez les Baleste, Monique avait été traitée comme un membre de la famille.

« Ils décidèrent de venir me chercher car j’avais presque 12 ans et devais passer l’examen d’entrée en sixième. Cependant, ma marraine insista pour que je fasse d’abord ma communion solennelle et confirmation. Il a fallu se rendre à l’évêché de Dax. J’étais heureuse dans ma jolie robe blanche et ravie de ma nouvelle médaille ainsi que de mon livre de messe.

Et le 20 avril 1950, ma mère, sa belle-mère, mon nouveau père, Gene et sa jeune sœur arrivèrent à Lüe. Toute la famille Baleste était en larmes. Moi, on m’avait mis de gros cotons sur les oreilles car j’avais les oreillons que j’interprète comme symbole de ma révolte. Je pleurais et me sentais perdue. Arrivée à Colombes où mes parents habitaient, je me souviens de ma première nuit au rez-de-chaussée de la maison à 2 étages, seule sur un divan-lit, incapable de m’endormir, j’entendais des bruits étranges et j’étais constamment angoissée.

Heureusement, la sœur de mon beau père repartit vite aux USA et j’ai eu ma propre chambre. Cependant, ayant de la difficulté à m’endormir, je me précipitais quotidiennement chez ma sœur et me glissais dans son petit lit. Jusqu’à ce jour, je suis insomniaque et j’ai encore des peurs inexplicables. Il m’était pénible de m’adapter à ma nouvelle famille et de former un bon rapport avec ma sœur qui est devenue quelqu’un de très aimant et généreux. Malheureusement, elle a eu et a toujours beaucoup de problèmes de santé.

La séparation d’avec la famille Baleste fut très dure, mais je suis restée en contact avec elle pendant presque toute ma vie. Je dois ajouter cependant que deux ans après mon départ, ma marraine s’est mariée et je ne l’ai plus vue pendant un temps car je suis partie vivre aux Etats-Unis. Voilà pourquoi :

En juin 1956, après avoir passé mon bac, je suis partie avec mes parents et ma sœur en bateau, direction la Californie pour rencontrer la famille de mon beau-père. Ce fut pour moi l’occasion de rester à Los Angeles comme fille au pair chez sa sœur aînée  qui venait d’adopter une petite fille. En septembre, j’ai commencé à suivre des cours à L.A City College, puis j’ai travaillé comme secrétaire dans une banque. Le fait d’avoir arrêté mes études a horripilé ma mère qui ne me parlait plus. Au bout d’un an, je me suis inscrite à l’université de Californie de Los Angeles où j’ai obtenu tous mes diplômes en français et espagnol.

Après trois ans comme « teaching Assistant » dans le département de Français de l’UCLA, une des universités de Claremont, Pomona College en Californie cherchait un professeur de français et d’espagnol. Je venais de passer mes examens de Ph. d, alors, j’ai postulé et on m’a embauchée pour enseigner les deux langues. J’y suis restée pendant 45 ans. En 1970, j’ai terminé ma thèse de doctorat sur La légende des siècles de Victor Hugo. J’ai donné des cours de littérature française, des cours de films et d’explication de texte.

J’ai travaillé sur Victor Hugo, Jean Giono, Francis Ponge, et sur trois auteures contemporaines dont je parle dans L’écriture, lien entre mère et fille chez Jeanne Hyvrard, Chantal Chawaf et Annie Ernaux.

En 2008, j’ai publié Héroïnes françaises 1940-1945. Courage, force et ingéniosité. La fabrication de ce livre a été pour moi une forme de libération.

Pendant des années, je ne me suis pas intéressée à mon passé d’enfant cachée. En fait, je ne me voyais pas comme telle. Pourtant, j’ai bel et bien été cachée en France dans une famille catholique qui m’a gardée pendant plusieurs années. Voilà mon histoire.

Voilà d’où m’est venue l’idée de m’intéresser à ce sujet :

Par une belle journée de juin 1994, j’ai eu une révélation. J’étais venue à Paris comme tous les ans faire des recherches universitaires. Je déjeunais chez mon oncle Daniel, ancien résistant qui avait tenu un journal pendant la guerre. La conversation tomba sur les rafles des Juifs et sur le jour où la police française avait fait irruption dans notre appartement à Paris. Au cours de la conversation, je me suis rendu compte que j’avais été une enfant cachée pendant la guerre et que la famille Baleste aurait pu être arrêtée et tuée pour protéger une petite Juive.

Ma mère n’avait jamais voulu me parler de cette époque, ni de mon père, ni de mes grands-parents. Elle m‘avait dit qu’elle avait fait tant d’efforts pour oublier cette partie si douloureuse de sa vie qu’elle y avait réussi.

J’ai appris plus tard par ailleurs qu’en 1942, elle était restée quelques temps à Annecy, puis à Nice où elle passait des armes dans les sacoches de son vélo. Elle a aussi été arrêtée et relâchée.

Malheureusement je n’ai pu lui arracher aucun détail.

En ce sens, ce déjeuner chez mon oncle fut un véritable tournant dans ma vie et dans la découverte de mes origines. Pendant des années, je n’ai jamais parlé de mon enfance, ni de mes origines juives. J’ai changé l’orthographe de mon nom de Ségal à Saigal et en 1972, j’ai épousé un Bolivien catholique (M. Escudero). Nous avons maintenant deux filles. Pendant très longtemps, je refusais de voir des films qui traitaient de l’holocauste ou de la collaboration car je ne pouvais pas y faire face.

C’est grâce à une thérapeute et professeur d’université, Sarah Moskovitz, spécialiste d’enfants cachés, que je me suis libérée.

En 1995 j’ai honoré la famille Baleste et ma marraine, Jacqueline Baleste de Saint Quentin à Yad Vashem. En 2007, elle  a reçu la Légion d’honneur. Je continue à voir ma marraine tous les ans depuis 1990. Mon mari et moi avons acheté un appartement à Paris et pendant plusieurs années, quand j’avais un congé sabbatique ou que je venais à Paris en été, j’étais sa voisine de palier.

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Jacqueline Baleste honorée par Yad Vashem

J’ai voulu montrer aux jeunes, et en particulier à mes étudiants de Français aux Etats-Unis, qu’il est important d’avoir un idéal, et qu’il ne faut pas craindre de le poursuivre. J’aimerais, en conclusion, citer la fin du discours que ma marraine a prononcé lorsqu’elle a reçu la médaille des Justes :

‘Je ne pense pas que je mérite cette distinction, car nous ne pouvons pas être récompensés pour faire ce qui est normal et naturel. Ce que mes parents et moi avons fait pour Monique était par amour et elle nous l’a rendu au centuple. On ne se trompe jamais quand on suit la voie de l’amour’.

Les Justes

Bertrand dit « Sébastien » Baleste, né le 14 janvier 1891 à Lüe, décédé à Lüe le 3 février 1966.

Son épouse Marie dite « Maria » Duvignac, née le 7 février 1894 à Lüe, elle y décède le 4 septembre 1955.

Jacqueline Baleste de Saint-Quentin est décédée le 20 août 2020 à Pau, à l’âge de 99 ans.

Retrouvez son témoignage ici :

Ainsi qu’une courte vidéo :


Sources :

https://enfantscaches.wordpress.com/2012/04/17/monique-saigal-ancienne-enfant-cachee-raconte-son-parcours/

https://monisaigal1942.github.io/

http://www.ajpn.org/juste-Jacqueline-Baleste-120.html