Les registres d’écrou de la section allemande de la maison d’arrêt de Mont-de-Marsan notent, à la date du 5 août 1942 à 23 heures, l’incarcération d’Acher SEMAHYA, amené par un feldgendarme pour « passage de la ligne de démarcation » (avec 3 autres personnes).
Vêtu d’un complet foncé et d’une chemise de couleur, l’homme est dit né le 10 octobre 1915 à Salonique (Grèce), employé, « orthodoxe », et domicilié 6 rue Mercoeur à Paris XIe.
Or ces données correspondent à un autre Acher (ou Ascher) SEMAHYA, dont le parcours est différent :
« L’autre » Acher SEMAHYA vivait chez sa mère rue Mercoeur dans le XIe arrondissement. Ouvrier-métallo chez Panhard-Levassor, délégué syndical (il est renvoyé en raison des lois anti-juives), membre des Jeunesses Communistes, il s’engage dans l’action armée à l’été 1941 avec un petit groupe de camarades âgés de dix-huit à vingt-sept ans du quartier de la Roquette (« Bataillons de la Jeunesse »). Il est arrêté le 30 octobre 1941 par la Brigade Spéciale de la Police Judiciaire. Interrogé durement au 36 Quai des Orfèvres, il va faire l’objet, avec 6 de ses compagnons, d’un simulacre de procès « à grand spectacle » décidé par les Allemands, et qui va se tenir à l’Hôtel de Lassay (Palais Bourbon) du 4 au 7 mars 1942, face à un conseil militaire allemand qui leur impute dix-sept attentats.
Tous furent condamnés à mort et fusillés le 9 mars 1942 au Mont-Valérien (Suresnes).
Acher Semahya fut inhumé dans le carré des corps restitués au cimetière d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Sa mère, âgée de cinquante et un ans, et ses deux sœurs, Sara, vingt-trois ans, manutentionnaire, et Victoria, vingt et un ans, couturière furent arrêtées et internées au camp de Drancy, et déportées sans retour à Auschwitz le 11 novembre 1942.
« Notre » Ascher SEMAHYA est transféré de Mont-de-Marsan au camp de Mérignac le 12 août 1942.
Il se dit naturalisé en 1939, marié et père d’un enfant (ce qui n’est pas le cas du « vrai » Ascher).
Il est possible qu’il s’agisse d’un proche du « vrai » Acher ayant présenté ses papiers d’identité, ou simplement s’étant fait passer pour lui…
Dans ce cas peut-être son frère Peppo alias Pepito (Joseph), né le 22 août 1912 à Salonique, domicilié 22 rue Daubenton dans le Ve arrondissement, et effectivement naturalisé en 1939. Résistant (Front National), transféré à Pithiviers (sans doute le 1er septembre, peut-être en raison de sa nationalité française) il est déporté à Auschwitz au départ de Pithiviers le 21 septembre 1942 (le dernier convoi à en partir). Il est sans doute gazé dès l’arrivée du convoi le 23. Marié en 1936 à Gracia Gisèle, il était père d’une petite fille (témoignage de sa petite-fille Sophie Zerbib à Yad Vashem en 1992).
Mais qui figure sur la liste du convoi 26 du 31 août 1942 ? Peppo a-t-il in extremis révélé aux autorités de Drancy sa vraie identité, pensant que sa nationalité française le protègerait de la déportation ???