Pierre (né Pierre Giuseppe) Cescutti est né le 20 mars 1921 à Clauzetto, au nord-est de l’Italie (Frioul), fils de Giovanni-Battista, maçon (plus tard entrepreneur de Travaux Publics) et de Maria Cescutti (naturalisés en 1947).
Ses parents et la famille décident d’émigrer en France en 1922, où, en tant que maçons, ils s’emploient à reconstruire le nord du pays, détruit en grande partie par les combats de la Première Guerre mondiale.
Une connaissance les attire ensuite à Mont-de-Marsan, où ils s’installent Chemin de Thore.
C’est là que Pierre voit passer son premier tour de France (en 1933), et qu’il commence à pratiquer le cyclisme au Stade Montois. Il remporte plusieurs courses avant-guerre. Il assure la comptabilité de l’entreprise familiale.
La guerre, puis l’Armistice de juin 1940 compliquent la pratique du sport cycliste, et il lui faut parcourir plusieurs centaines de kilomètres (jusqu’à Bordeaux, Langon, Bayonne ou Dax) pour participer à des compétitions (et, au retour, faire la course avec les gendarmes chargés de faire respecter le couvre-feu).
« En 1942, nous étions un quatuor de coureurs cyclistes montois formé de Louis Flourac, mécanicien en cycles, Jean et Henri Bandiera, maçons comme moi-même. Nous participions aux rares courses de l’époque, effectuant à vélo 100 à 120 kms de déplacement pour aller courir.
C’est au cours de ces longs déplacements que nous vint l’idée de nous évader de France, d’autant plus que pesait la menace de réquisition pour le travail obligatoire [S.T.O.]. Les Allemands obligeaient en effet les hommes de plus de 21 ans à aller travailler en Allemagne dans les usines d’armement. Mes 21 ans approchaient et je ne voulais pas partir.
Notre projet, quitte à faire du cyclo-cross pour le franchissement de la frontière espagnole, était de rejoindre à vélo le port de Bilbao puis de s’embarquer pour l’Angleterre.
Mais, au cours d’une course à Bayonne, Henri Bandiera apprenait d’un coureur basque que son frère, demeurant à Guéthary, jouait parfois les guides pour aider à franchir la frontière.
Ceci nous fit abandonner notre projet initial et, après avoir pris contact avec ce passeur (lequel devait plus tard, avec son frère s’évader lui-même et atterrir à la 2e DB. !) nous arrivons à Guéthary le 28 Janvier 1943 par le train. Le soir même vers 9h départ à pied et, après quelques 20 kms à travers champs, nous arrivons vers 8 heures du matin près de Dancharia.
Le guide, nous laisse au sommet d’une colline et nous dit : « Vous descendez (environ 200 mètres), puis vous traversez le ruisseau, un affluent de la Nivelle, et vous êtes en Espagne ».
Nous descendons, mais à quelques pas du ruisseau nous entendons : « halt !… » et, comme nous continuons en courant, des coups de feu claquent. Par chance, le jour n’étant pas encore entièrement levé, les tirs de ces feldgendarmes nous ratent.
Après avoir franchi les 4 à 5 mètres d’eau glacée, mouillés jusqu’à la ceinture, nous nous planquons dans les ronces voisines.
Puis, nous reprenons notre chemin mais sommes presque aussitôt arrêtés par les Carabineros, lesquels avaient été attirés par les coups de feu. Nous sommes alors immédiatement incarcérés dans une cave du village d’Urdax ; puis, deux jours plus tard, transférés à la prison d’Irun.
Ensuite, quinze jours en résidence surveillée à Zarautz.
Fin mars c’est le départ pour le camp de concentration de Miranda de Ebro, où nous sommes entassés dans de vieux baraquements, couchés à même le sol, avec un manque d’hygiène, d’eau et de nourriture.
J’ai personnellement eu la chance de faire partie d’un convoi d’« expulsés au Portugal » à la fin juin
1943 (vendus, parait-il aux Alliés, contre du blé et du pétrole !)
Après un bon accueil de la population portugaise, j’embarque à Setubal sur un cargo français, le Djébel-Aurès, [direction] Casablanca.
Nous sommes alors escortés par le destroyer Dumont-d’Urville et des avions anglais de la base de Gibraltar [convoi du 25 juin, avec 500 autres prisonniers].
Arrivés à Casablanca, on nous aligne face à des officiers qui nous paraissent plutôt Giraudistes que Gaullistes En effet, à Miranda, avec le bas de mon pantalon, je m’étais confectionné un calot sur lequel j’avais réussi à tricoter une croix de Lorraine. Voyant cela, l’un de ces officiers m’a flanqué ce calot par terre d’une gifle.
Nous avions le choix des armes pour un engagement pour la durée de la guerre. Personnellement je désirais rejoindre les FFL qui étaient en Tunisie. Ayant appris par un sous-officier que le seul moyen de rejoindre ces troupes était un engagement au Corps Franc d’Afrique stationné en Kabylie, c’est la décision que je prends aussitôt [juillet 1943].
Sur les quelques 500 évadés provenant de ce convoi, nous ne fumes qu’une vingtaine, dont mon camarade montois Robert Armagnacq, à signer un engagement pour cette unité.
Huit jours plus tard nous nous retrouvons à El Kseur, puis dans les dunes de Sidi Abdelaziz où, mal logés et mal nourris, nous effectuons de pénibles marches de plusieurs heures.
Courant septembre, comme nous l’espérions, nous sommes incorporés à la Colonne Leclerc et prenons la direction de Temara au Maroc. Là se formait la 2e Division Blindée (avec plus de 15.000 hommes) dont le Corps Franc d’Afrique allait devenir le 13e Bataillon du Génie [Pierre Cescutti y est sapeur].
Ce furent cinq mois d’intenses manœuvres de minage, déminage et constructions de ponts de bateaux. Manœuvres raccourcies pour moi en raison de deux longs séjours dans les hôpitaux de Rabat et Port Lyautey provoqués par un paludisme et une jaunisse que j’avais contractés au Corps Franc.
Fin avril 1944, la Division prend la route pour Mers El Kebir [Oran] en Algérie ou nous embarquons sur des bateaux à fond plat [L.S.T., Landing Ship Tank]. Nous pensions partir en renfort rejoindre les troupes du Maréchal Juin en Italie, mais en passant devant le rocher de Gibraltar nous avons compris que nous allions vers l’Angleterre.
Après un très long et pénible voyage de douze jours avec plusieurs grosses tempêtes, et après être passés au large des Açores pour éviter le rayon d’action de la Luftwaffe, nous débarquons à Swansea au Pays de Galles. Les divers convois prenaient la direction du Yorkshire. Pour nous, le Génie, c’était Hessel-Wood près de Hull.
Manœuvres et pontages reprenaient de plus belle. Pour ma part j’échappais a la plupart de ces manœuvres, ayant été affecté comme chauffeur de G.M.C. [camion produit par General Motors] pour les convois faisant la navette vers Plymouth et Southampton où nous allons chercher de nouveaux matériels et armements pour la Division.
Le 31 Juillet nous embarquons sur des L.S.T. près de Southampton direction la Normandie où nous débarquons le 1er Août à Utah Beach. Puis, nous prenons immédiatement la route à travers la Manche libérée par les Américains. Je conduis le G.M.C. de la 3e Section de la 3e Compagnie, chargé de divers matériels, dont de déminage, et des réserves de carburant ainsi que des mines et explosifs T.N.T.
Nous traversons Ste-Mère-Eglise, St-Sauveur-le-Vicomte, La-Haye-du-Puits, Périers, Coutances, Avranches et St-Aubin [-d’Appenai] où ma section prend le baptême du feu sous un tir d’artillerie meurtrier.
Nous entrons en contact avec l’ennemi aux environs d’Alençon, ville libérée par la 2e DB le 12
Août. Puis c’est la remontée vers le nord avec les combats de la Forêt d’Ecouves, Sées, Ecouché et Argentan où la division fait la jonction avec les troupes anglaises et canadiennes venues du Calvados.
Plus de cent mille allemands de l’armée de Von Klug sont ainsi enfermés et faits prisonniers dans la poche de Mortain.
L’un des Allemands que nous avions fait prisonnier après le débarquement avait un appareil photo. Je le lui ai fauché, ce qui m’a permis d’en faire tout au long de la campagne de libération [y compris de quelques « rencontres » féminines immortalisées sur papier glacé].
De cette brève campagne de Normandie je garde le souvenir de l’odeur épouvantable des cadavres, surtout du bétail, qui pourrissait dans la chaleur estivale.
Vers le 22 Août, la Division prend la direction de Paris.
Le 24 Aout, combats à Longjumeau et à Fresnes. C’est le 25 Août au matin que le gros de la division pénètre dans Paris par la Porte d’Orléans. Mais la veille une avant-garde conduite par la Capitaine Dronne (dont l’ami Robert Armagnacq faisait partie) avait atteint l’Hôtel de Ville.
Le Général allemand Von Choltitz ayant capitulé, il n’y eut pas de résistance dans Paris sauf quelques tirs isolés provenant surtout des traîtres collaborateurs et miliciens.
Réception délirante du peuple parisien et des F.F.I qui avaient bien préparé le terrain.
Après quelques jours de repos au Bois de Boulogne, nouveau départ, avec quelques engagés parisiens, via la Marne et la Lorraine.
Reprise du contact avec l’ennemi près de Contrexéville-Vittel [Vosges]. Combats et libération de Dompaire, Châtel-Nomexy (avec de lourdes pertes lors de la mise en place du pont sur la Moselle). Puis c’est Rehaincourt, Gerbeviller (pont sur la Mortagne) [Meurthe-et-Moselle], Chenevières (pont sur la Meurthe), Azerailles, Baccarat, Forêt de Mondon, Brouville, Montigny, fossé de Ste-Pole, Badonviller, Brémenil.
Autant de combats où je n’ai que rarement été en première ligne, vu mon rôle de conducteur de G.M.C., mais sous les tirs de l’ennemi et avec le chargement explosif [munitions et explosifs de la compagnie] dans mon dos, je puis dire que, pendant neuf mois, j’ai joué au « Salaire de la peur ». Egalement avec le treuil du camion, j’ai dû enlever les arbres abattus et parfois minés pour retarder notre avance
Puis ce fut Cirey-sur-Vezouze [Meurthe-et-Moselle], où l’audace et la stratégie de Leclerc lui firent lancer, de nuit, la Division et ses blindés dans le difficile et étroit Col de Valsberg (Dabo) [Moselle] où les Allemands n’avaient qu’une défense d’infanterie qui fut vite balayée par nos chars.
Le lendemain matin 23 Novembre, nous arrivions à Singrist [Bas-Rhin] sur la route Saverne-Strasbourg et dans le dos des Allemands qui défendaient le passage de Saverne.
La Division fonce ensuite sur Strasbourg où nous parvenons au centre-ville à la grande surprise des Allemands dont nous faisons de nombreux prisonniers.
Leclerc charge un fantassin d’installer le drapeau tricolore sur la flèche de la cathédrale. Le serment de Koufra était tenu.
Fin novembre commence la campagne d’Alsace qui va durer trois mois avec des températures de -15° à -20°. Une campagne pénible avec des journées et des nuits passées dehors, parfois même dans des tranchées. Nous avons pu penser alors à ce que fut le long martyr de nos aînés de 14-18. Le tout sans appui aérien en raison du mauvais temps.
Les villages libérés après plusieurs combats, notamment à Benfeld, Herbsheim, Rossfeld, Witternheim (où l’ami Armagnacq a été blessé pour la deuxième fois), Sélestat, Guémar, Ilhauesern, les pénibles combats et séjour de la cote 177, Ohnenheim, Marckolsheim, Grussenheim et enfin, aux environs de Colmar, la 2e D.B. réalise la jonction avec les troupes de la 1ère Armée Française venant du sud.
La France entière était libérée.
Début mars 1945, la Division part au repos dans l’Indre, le Génie étant cantonné à Bélabre près du Blanc.
C’est de là que je pars à Mont-de-Marsan pour ma première permission de huit jours et que je retrouve ma famille et mes amis après deux ans d’absence, ainsi que le plaisir de dormir longuement dans un lit !
Retour à Bélabre d’où une partie de la Division est allée aider les F.F.I à liquider les « poches » de l’Atlantique dont celle de Royan.
Le 25 Avril nous quittons Bélabre direction l’Allemagne. Passage par la Sarre et traversée du Rhin à Mannheim. Puis la Division fonce direction la Bavière quasiment sans combats.
Sur les autoroutes allemandes (car ils avaient déjà des autoroutes !) nous croisons des régiments entiers d’ennemis pour qui c’est la débâcle et la fin. Nous vivons la revanche de 1940 !
Nous passons près de Munich, ville quasiment détruite, et du camp de Dachau modèle de l’horreur du nazisme.
Nous fonçons sur la route de Salzbourg direction Berchtesgaden en faisant la course avec les blindés américains.
Sommes retardés à Bad-Reichenall par les tirs de quelques irréductibles et arrivons dans la ville de Berchtesgaden quelques heures après les G.I.
Mais il semble que les Américains ignorent l’existence et le lieu du Berghof et du Nid d’Aigle.
Mais pas le Général Leclerc, et nous fonçons sur la route de montagne sur 4 à 5 kms, avec des pentes à 20 %, qui conduit au Berghof. Nous sommes le 6 Mai.
Leclerc, pensant que l’endroit est miné, envoie, parmi les troupes de tête, deux sections du Génie. C’est ainsi que Robert Armagnacq et moi-même avons été parmi les premiers à pénétrer dans le fief d’Hitler.
Une imposante demeure avec une large baie et large terrasse et une splendide vue sur les Alpes Bavaroises. Une terrasse sur laquelle sera étalé le drapeau tricolore.
Mais le lieu avait été bombardé quelques jours plus tôt par l’aviation et tout était saccagé. Excepté la cave, ainsi que celle de la villa voisine du Maréchal Goering, d’où nous avons retiré un grand nombre de caisses de vins provenant des grands crus de divers pays européens.
Dans la caserne de la garde d’Hitler quelques soldats encore présents se rendent sans combat.
Dans un garage nous sortons une des Mercedes blindée d’Hitler laquelle sera ramenée en France.
Avec quelques camarades de ma section, nous descellons l’aigle en bronze qui trônait, parmi les gravats, au-dessus du bureau d’Hitler et nous le chargeons parmi les caisses de vins sur mon G.M.C., le « Gaîté Lyrique », le bien nommé ce jour-là !
Le 7 Mai nous apprenons la capitulation des Allemands et nous arrosons comme il se doit cette bonne nouvelle. Nous offrons aussi quelques bouteilles de vin aux premiers Américains arrivés sur les lieux.
Ce jour-là, j’ai pris la première et la dernière cuite de ma vie, et avec les bouteilles de vin du Führer qui plus est ! J’en ai même ramené deux à la maison…
Le 8 Mai nous quittons le Berghof, direction la région de Munich où durant trois semaines nous allons passer des vacances au bord du lac de Würmsee et où, midi et soir, les sapeurs du Génie feront leurs repas arrosés des vins d’Hitler et de Goering !
Fin mai, la 2e D.B. quitte l’Allemagne et c’est le retour en France. Ma compagnie est logée chez l’habitant à Boissise-la-Bertrand près de Melun.
C’est le 1er ou le 2 Juin, alors que mon G.M.C. avait été vidé de tout son chargement explosif que je recevais l’ordre, accompagné d’un adjudant, de porter l’aigle du Berghof à Paris.
Nous avons déposé ce lourd trophée dans une salle du rez-de-chaussée d’un immeuble (dont je ne me souviens plus de l’adresse, ne connaissant pas Paris), et d’où il devait, me dit l’officier, être remis à un musée. Aujourd’hui, 60 ans après, je n’ai jamais pu savoir ce qu’était devenu et où se trouvait cet aigle que j’ai trimbalé pendant 25 jours !
Fin juin nous assistons aux adieux de notre admirable et estimé Général Leclerc, lequel partait pour l’Indochine.
Je pensais alors être démobilisé, mais contrairement à cette attente ma Compagnie a été expédiée à Saumur où nous avons joué les instructeurs pour les bleus du Génie, et cela jusqu’au 4 octobre 1945 !
J’ai quitté l’armée avec le modeste grade de caporal, décoré la Croix de guerre et deux citations, mais surtout : la satisfaction du devoir accompli et la chance de rentrer sans la moindre blessure.
Retourné à la vie civile, j’allais reprendre mon travail aux cotés de mon père dans son entreprise du Bâtiment et, quelques mois plus tard je parvenais à acquérir un camion G.M.C. que j’ai continué à conduire de longues années ! ».
Il épouse Rolande Danné, passionnée comme lui de cyclisme, double recordwoman du monde de l’Heure (décédée en 2017).
A son retour, il souffre des maladies contractées en Afrique du Nord, et ne peut reprendre la compétition cycliste. Au Stade Montois, il forme et entraine de nombreux champions, dont le plus connu est Luis Ocaña, vainqueur du Tour de France 1973, dont il était devenu le mentor.
Pierre Cescutti a été le Président du Stade Montois Cyclisme pendant une vingtaine d’années à partir de 1960. Cet entrepreneur du BTP est l’artisan de la construction du vélodrome du Loustau à Mont-de-Marsan.
Il témoigne souvent de son parcours auprès des plus jeunes
Pierre Cescutti est décédé le 18 octobre 2015 à Bretagne-de-Marsan.
Chevalier de l’Ordre National du mérite, il était titulaire de la Croix de Guerre 39-45, de la Médaille de la Résistance Française, de la Médaille des Evadés et de la Médaille d’or de la Jeunesse et des Sports.
Sources :
Fondation Maréchal Leclerc de Hauteclocque, In Memoriam, 2015
https://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=60136
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe00003148/la-2eme-db-de-l-angleterre-a-paris