Pierre-René Gazagne, préfet des Landes (1941-1944)

Pierre-René Gazagne, préfet des Landes (1941-1944)

« René Bousquet, Maurice Papon. En deux noms, la cause est entendue, et la légende noire écrite : les hauts fonctionnaires de l’administration préfectorale de Vichy, issus du radicalisme républicain, servirent sans ciller l’État français jusque dans les pires errements de la collaboration d’État. Après une épuration particulièrement douce, ils constituèrent les cadres administratifs ou économiques de la Quatrième République. On compense en général, dans l’histoire administrative sécrétée par les institutions, cette image uniformément sombre par la rédemption collective payée, pour l’ensemble du corps, par le sacrifice de quelques-uns, sacrifice résumé par le portrait en pied de Jean Moulin, dont la gloire préfectorale ne se dément pas depuis sa panthéonisation de décembre 1964. Voici dessiné, en ses deux faces, le préfet des années sombres. La réalité est sans doute plus complexe que ces deux faces de la médaille ».

Marc-Olivier Baruch, « Vichy et les préfets »

Pierre René Gazagne est né en 1889 à Lyon (69), fils d’un employé de commerce.

Surveillant d’internat à Oran en 1909, titulaire d’une licence, puis d’un doctorat en droit, ainsi que d’un diplôme de législation nord-africaine et de droit musulman, il commence sa carrière en 1913 comme administrateur adjoint stagiaire de commune mixte en Algérie. Mobilisé en 1914 (dans l’administration des services de santé en Afrique du Nord), marié à Blida (Algérie) en 1919, il est nommé conseiller de préfecture en 1925 et entame une carrière préfectorale et ministérielle, tant en métropole qu’en Afrique du nord (il entre au cabinet de Léon Blum en 1936 et semble proche du parti Radical).

Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1931.

Préfet de la Savoie à la veille de la guerre, il est alors détaché en Tunisie comme directeur des Services de sécurité.

Puis il est nommé préfet des Landes le 21 juin 1941 (installé le 11 juillet).

Suivant les instructions de René Bousquet (secrétaire général de la police), Jean Leguay (délégué du secrétaire général de la police dans les territoires occupés) et Maurice Sabatier (préfet régional à Bordeaux, son supérieur hiérarchique), il veille à l’application de la législation (y compris anti-juive) de Vichy, s’élevant contre les empiètements de souveraineté de la part des Allemands.

En revanche, il semble qu’il fasse souvent trainer la transmission des informations, temporise, demande des précisions, etc., pratiquant une sorte de « résistance administrative ».

Un bilan de ses diverses interventions en la matière permettra à chacun de se faire une opinion.

Il est cependant à noter qu’il est souvent difficile de distinguer quelle est la main qui a rédigé les annotations personnelles sur les divers documents étudiés (préfet, secrétaire général, chef de cabinet, chefs de services, etc.).

A L’ÉGARD DES JUIFS

Un des premiers dossiers sur lesquels il doit se pencher est celui de la recherche des « individus en surnombre dans l’économie nationale » (Juifs), dont les préfets peuvent prescrire l’internement dans un camp. Dans le cas de la famille Sigman, pour laquelle l’enquête prescrite par son prédécesseur avait abouti à une recommandation d’internement, le préfet Gazagne y sursoit « pour des considérations purement humanitaires », dit-il à la Feldkommandantur. Il n’existe pas alors de camps mixtes, et il s’agit de ne pas séparer la famille (août-septembre 1941).

En octobre 1941, en marge d’un rapport de la gendarmerie d’Amou signalant de nombreux franchissements clandestins de la ligne de démarcation par des Juifs, il note : « Demander de surveiller de très près. Où logent-ils ? ».

Le mois suivant, il reçoit du préfet de Charente-Maritime une demande de renseignement sur un Juif, mais ne répond que 6 mois plus tard…

Affaire Kouperschmidt/Silberstein

Le 13 mars 1942, il essaie de soustraire les Kouperschmidt, employés à la Préfecture (et leur sœur employée aux Usines Hinard) aux mesures prévues contre les Juifs par l’ordonnance du 7 février 1942 (interdiction de sortie entre 20h et 6h, et de changement de domicile), disant qu’ils sont baptisés, et qu’ils n’ont pas « trois grands-parents de race israélite ». Le 21, réponse négative de la Feldkommandantur.

Le 26, il tente une nouvelle démarche allant dans le même sens pour Roland Silberstein, acheteur à la préfecture (Service de l’Occupation !), et qui doit pouvoir se déplacer. Nouveau refus.

Le 4  juin, on le prévient que les Kouperschmidt ne se sont pas présentés à leurs postes ; il demande une enquête le 5, qui lui apprend le 6 (samedi soir) leur départ. Il note en marge : « Rendre compte à la Kreis et prendre un arrêté les suspendant de leurs fonctions », ce qu’il ne fait que le mardi 9 (sa lettre n’est traduite que le 10 avant d’être envoyée à la kreiskommandantur de Mont-de-Marsan).

Le 13, le chef du Service de l’Occupation signale au secrétaire-général que Roland Silberstein n’a pas lui non plus rejoint son poste (à l’issue d’un congé de 8 jours). Dès le 12, ce service a repris les meubles qu’on lui avait prêtés, avant même l’expiration du congé, ce qui semble démontrer que l’on se doutait qu’il avait fui… Cette fois, le préfet informe la kreiskommandantur le jour même.

Le 14 et le 16, celle-ci lui adresse des courriers menaçants, lui reprochant d’avoir tardé à signaler le départ des Kouperschmidt et d’avoir accordé un congé à Roland Silberstein le jour de l’entrée en vigueur de nouvelles mesures contre les Juifs (8e ordonnance allemande, leur imposant le port de l’étoile à compter du 7 juin). Les Allemands parlent de « sabotage ». Le préfet Gazagne se défend : « Me donner les textes qui me faisaient l’obligation de les prévenir. Il n’y en a pas je crois », écrit-il en marge. Le 30, les Allemands reconnaissent finalement qu’il n’y a pas eu faute. Le préfet les en remercie le 6 juillet.

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Source : AD 40

Difficile de dire si le préfet a effectivement été complice de ces fuites… Les délais de quelques jours entre la fuite et le signalement ne sont sans doute pas dus au hasard… Mais est-ce bien Gazagne qui a accordé un congé à Roland Silberstein ?

En mai 1942, sur un courrier du maire de Tartas l’informant de la disparition de la famille juive Beer, il note : « Urgent. A signaler. Enquête. Urgent ».

Début juillet 1942, il signale à la kreiskommandantur (comme il en a l’obligation) le cas de l’épouse juive du nouveau proviseur du lycée, venu du Cher, qui n’a pas signalé son changement de résidence.

La rafle du 16 juillet 1942

Dans le cadre de la préparation de la première rafle, les Allemands du SD (Gestapo) de Dax se rendent à la préfecture le dimanche 5 juillet afin de donner leurs instructions. Le 6, à leur demande, le préfet transmet la liste des Juifs du département au sous-préfet de Dax, qui la transmet à son tour le 9 au commissaire de Police (on procède ainsi à Bordeaux et Paris). Mais le 6, la rafle est reportée.

Le 7, Gazagne proteste auprès de Vichy contre l’empiètement allemand sur ses prérogatives (les Allemands ont donné directement des ordres aux policiers et gendarmes), fait des réserves quant à la participation des services de police et de gendarmerie français à la rafle, demande des instructions à Vichy, et enfin attire l’attention sur le sort à réserver aux enfants, qui ne seront pas arrêtés.

Le 14, suite à une demande directe d’instructions à Leguay (confirmées par le préfet régional), il reçoit la liste des exemptions de rafle (femmes enceintes et mères d’enfants de moins de 2 ans, Juifs français même incarcérés), et l’ordre de ne pas remettre aux Allemands la liste de ces Juifs incarcérés.

Le 15, il est informé (instructions téléphoniques de Leguay) que les femmes juives peuvent emmener avec elles leurs enfants (comme à Paris et à Bordeaux).

Mais à Dax, le 16, les Allemands refusent de garder les enfants arrêtés. Le 17, le préfet fait un compte-rendu de la rafle au préfet régional, et attire son attention sur le « problème » des enfants. Il a ainsi placé à l’Hospice la petite Monique Ciolek et demande s’il doit intervenir auprès des Allemands pour que « ce bébé » rejoigne sa mère au camp de Mérignac. Deux autres enfants ont été placés dans des familles (Georges Gheldman et Henriette Blatt). Le 20, il redemande au même les dispositions à prendre pour les enfants hébergés à l’Hospice. Le 30 juillet il renouvelle sa demande au Préfet régional (Service des Affaires juives).

Difficile de dire ce qui motive l’insistance de Gazagne… Souci humanitaire de réunir mères et jeunes enfants (à une époque où l’on ne sait pas quelle est leur destination finale…) ? Besoin de régler un « problème » épineux à gérer, comment s’occuper de ces enfants, à qui les confier (famille ? voisins ? U.G.I.F. ?).

Le lundi 27 juillet, il signale à la Feldkommandantur de Biarritz le départ de la famille Gronich, de Tarnos (partis le 13, sans doute prévenus –par qui ?- de la rafle imminente, constat le 17, rapport transmis au préfet le lundi 20). Les Gronich ont eu une quinzaine de jours pour gagner la Zone Non Occupée…

Le 31, il est informé par le sous-préfet de Dax de la disparition d’une employée « israélite » de la maison de santé « Clairbois » à Labenne-Océan. Son commentaire : « Elle ne devait pas s’absenter. Me parler. Signaler ».

Le 10 septembre, il demande à Vichy des consignes à propos du diplomate juif roumain Salomon Rosenthal, habitant Hossegor, qui doit être considéré comme citoyen roumain (en raison des services rendus à l’Etat roumain, comme l’indique au préfet Gazagne un courrier du consulat). Il conclut sa demande ainsi :

« Je me demande dès lors, à moins que le Gouvernement Roumain ait obtenu leur accord préalable, jusqu’à quel point les autorités occupantes accepteront que M. Rosental bénéficie quoique Juif des prérogatives d’un citoyen Roumain, d’origine ethnique roumain [souligné dans le texte, il reprend les termes du consulat], ce qui en somme équivaudrait à la dispense de toutes les obligations auxquelles sont soumis les israélites »

(M. Rosenthal sera arrêté lors de la rafle du 19 octobre, et relâché sur ordre des Allemands).

Sans doute échaudé par l’incident Kouperschmidt/Silberstein de juin, le préfet ne veut plus pouvoir être pris en défaut par les Allemands…

Le 17 septembre, le sous-préfet de Bayonne sollicite des moyens supplémentaires pour répondre au développement du « règlement des questions juives ». Gazagne écrit en commentaire : « Peut-être pourrait-on les faire payer par les Juifs eux-mêmes ».

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Lettre du 17 septembre 1942 relative au frais liés au « règlement des questions juives » – AD 40

Le 23, il autorise le placement de la jeune Henriette Blatt (recueillie par la famille Lartigau car sa mère avait été arrêtée à Dax le 16 juillet) au Sanatorium de Jurançon, en Zone non occupée.

Le 24 octobre, il signe l’ordre d’expulsion de la famille Farhi de Mimizan (suite à une demande allemande datée du 26 septembre adressée à la préfecture régionale de Bordeaux, mais quand Gazagne l’a-t-il reçue ?). L’expulsion est effective le 2 novembre.

Le 10 mars 1943, il demande aux maires de ne pas valider les cartes d’identité des « personnes indésirables » (communistes) et des « personnes israélites » (avec listes jointes). Est-ce une consigne nationale ? Allemande ?

Mais en août 1943, suite à une demande de la Commission Nationale des révisions de naturalisation, il recommande de ne pas retirer la nationalité française de Daniel Kohn (Cohn), fondateur de la colonie de « vacances » du Pylône à Mimizan, « en raison des renseignements favorables recueillis sur l’intéressé » (Daniel Kohn et son épouse Christiane y cacheront des dizaines d’enfants juifs pendant la guerre).

En matière de persécution des Juifs, en « bon » fonctionnaire, Gazagne applique donc les consignes transmises par Vichy, via Leguay et Sabatier, ainsi que les directives des Allemands, sans zèle particulier, mais sans aménité…

Jacques Pélissier, chef de cabinet des préfets des Landes avant et après la Libération, témoigne de ce que : « Dans ce département des Landes, M. Gazagne n’a procédé à aucune déportation de familles juives ».

Pierre Garat, jusqu’alors chef du service des questions juives à la préfecture de la Gironde (sous Papon) devient le directeur de cabinet de Gazagne le 25 août 1943. Selon le préfet, il aurait été lui aussi acquis à la Résistance.

UN PRÉFET RÉSISTANT

Dans son action officielle, Gazagne a toujours défendu, pied à pied, les prérogatives de l’administration française face aux empiétements répétés des Allemands. Chaque fois que les autorités d’Occupation essaient d’outrepasser les termes de la convention d’armistice, Gazagne s’y oppose avec force.

Il y a entre les deux administrations de nombreux incidents à propos des réquisitions de main d’œuvre. Il pratique une certaine « résistance administrative » : il fait traîner, demande des instructions au gouvernement, puis des compléments d’information, par exemple lorsqu’il doit effectuer en décembre 1942 le recensement des femmes de prisonniers prescrit par les autorités allemandes : l’objectif était, semble-t-il, de les faire travailler en Allemagne. Le préfet refuse, en septembre 1943, de fournir aux Allemands 30 femmes qui devaient travailler au dépôt de munitions de Saint-Perdon. En octobre, il refuse de signer l’ordre de réquisition de 150 mineurs des mines de potasse du Boudigot (à Dax) à destination d’Abbeville. En janvier 1944, malgré l’insistance des Allemands, le préfet refuse la mobilisation de la police française pour réquisitionner la main d’œuvre en Chalosse.

Le préfet défend ses administrés contre les exactions allemandes : en septembre 1942, il intervient à plusieurs reprises pour sauver Jean Miremont de Saint-Martin-de-Hinx, condamné à mort pour détention d’armes. En vain : Miremont est fusillé. Le 5 février 1944, à la suite du meurtre d’un soldat allemand à Pomarez, le maire, ses adjoints et six jeunes sont arrêtés ; Gazagne obtient leur libération au bout de trois jours. Il défend un instituteur d’Estibeaux condamné à six ans de prison pour attitude anti allemande.

Gazagne s’oppose par ailleurs systématiquement aux partisans les plus extrémistes de la collaboration dans le département : il demande à plusieurs reprises la révocation du délégué départemental à l’information (Saint-Martin), jugé trop virulent. Il se plaint auprès du préfet régional des exactions de la LVF et surtout de celles de la Milice. Il critique même l’attitude du capitaine de gendarmerie Leyrat, particulièrement zélé dans la répression des opposants au régime.

Il mène à la préfecture des Landes une résistance passive qui lui vaut les reproches et l’inimitié, tour à tour, des Allemands et des collaborationnistes.

Dans son rapport d’avril 1943, de Soyres, directeur régional du Commissariat Général aux Questions Juives et chef régional du Service des Sociétés Secrètes, porte cette appréciation : « Le Préfet régional, Préfet de la Gironde, M. Sabatier et le Préfet des Landes, M. Gazagne, sont les responsables de la composition de leur Conseil Départemental, et quand on connaît le curriculum vitae de ces deux hauts fonctionnaires, on se rend compte qu’ils n’ont rien renié de leur passé et que leurs protestations de loyalisme envers le Maréchal sont des simagrées […]. D’ailleurs M. Sabatier et M. Gazagne font tout ce qu’ils peuvent contre la Révolution Nationale pour le retour à l’ancien régime. M. Gazagne m’a expliqué un jour comment, en 1936, alors qu’il était « sur sa demande » attaché au cabinet de Blum, lui et ses collègues ont freiné la Révolution communiste en se « mettant en boule », et par du sabotage ou de la procédure administrative. J’ai pensé aussitôt, et j’ai failli lui dire : « C’est ce que vous faites actuellement contre la Révolution Nationale » ».

Le 24 avril, Seidel, du Service administratif de la feldkommandantur, lui adresse de sévères reproches au sujet de la désignation des Conseillers départementaux (sur laquelle les Allemands veulent un droit de regard), dans un courrier qui emploie les termes suivants : « Je dois blâmer de la façon la plus sévère une telle négligence ».

On trouve dans les services de la Préfecture (et dans les administrations, police, gendarmerie…) un certain nombre de résistants (ce que le préfet ne devait pas ignorer) : Miremont (qui rejoindra le maquis), le secrétaire général Henri Mourer, Mlle Goueytes (« chef des services de liaison de la majorité des groupes de la Résistance »), André Camiade, Renée Dupeyron, Robert Juppé, chauffeur du préfet, etc.

René Gazagne a lui-même rendu d’importants services à la Résistance. Les attestations des plus hautes autorités de la Résistance landaise sont incontestables.

Les témoignages de T. Filippi, contrôleur de la police judiciaire à Tunis, et du général d’aviation Weiss rappellent que Gazagne, avait, dès juin 1940, alors qu’il était directeur des services de sécurité à la Résidence de Tunis, organisé le camouflage d’armes et de matériel, et effectué de la collecte et transmission d’informations (issues de la Commission italienne d’armistice). Relevé de ses fonctions à l’issue de différends avec la Légion Française des Combattants, il avait été renvoyé en métropole en juin 1941.

Dans les Landes, Gazagne serait entré en contact dès fin 42/début 43 avec Roger Bullion, chef du Groupe Libé-Nord. Celui-ci remercie le préfet chaleureusement le 11 décembre 1944 : « Dans les tristes jours de 1942-1943, vous fûtes notre préfet, celui des résistants de la première heure ».

Puis, grâce à son chef de service Miremont,  il rencontre à la préfecture Aldo Molesini, personnage clef de la Résistance.

Cet épisode se situe à la mi-juillet 1943 à l’occasion des fêtes de la Madeleine. En gage de bonne volonté, le préfet livre la liste des membres des organismes collaborationnistes. Il est aussi en contact avec Gabriel Cantal.

Gazagne évoque son action résistante : réunions clandestines avec les chefs résistants et transmissions d’informations (mouvements de troupes, etc.), fourniture de ravitaillement, de carburant, mise à disposition de véhicules, dépôts d’armes (y compris à la préfecture), mises en garde contre les arrestations, nomination d’agents de liaison et de résistants comme contrôleurs, ce qui leurs permettait de circuler, ordres de mission fictifs, faux papiers, passages en Espagne, etc.

André Camiade, secrétaire général du CDL déclare le 29 août 1944 que le préfet lui a donné, à partir de juin 1943, toutes les facilités pour ravitailler son maquis. Michel Escoubet, du Bataillon de l’Armagnac, blessé au cours d’un combat, traqué par la Gestapo, condamné à mort, est protégé et caché à la préfecture par Gazagne malgré les risques encourus (attestation de M. Escoubet du 29 septembre 1944).

Le dimanche 12 mars 1944 à Arthez-d’Armagnac, René Gazagne, venu à bicyclette de Mont-de-Marsan, guidé par Molesini, rencontre George Starr alias « Hilaire », du S.O.E. et l’assure de son soutien. Aldo Molesini confirme, le 4 septembre 1944, qu’il faisait passer au colonel « Hilaire » les renseignements secrets donnés par Gazagne sur les mouvements de troupes allemandes dans la région ainsi que sur la Milice. Il évoque les contacts avec les maquis du Gers (Bataillon de l’Armagnac/Armée Secrète de « Hilaire », Parisot et Monnet), avec Lamarque-Cando, Léon des Landes, les chefs FFI de la région Broqua, Cloarec… Il a rencontré à deux reprises Aristide, chef du réseau SOE-Actor.

Le lieutenant Planté (« Raymond des Landes »), secrétaire du CDL, estime que c’est grâce à Gazagne qu’une partie importante des armes destinées au corps-franc de Saint-Avit a pu être acheminée de Belin et de Pissos à Saint Avit (lettre du 13 mars 1945).

Charles Richard, directeur des Mines de potasse du Boudigot (et maire de Dax à la Libération) rappelle comment Gazagne l’a averti secrètement de ce qui se tramait contre les ouvriers de la mine et comment le préfet l’a épaulé en refusant avec lui de signer les réquisitions (S.T.O.).

Divers témoignages indiquent que les Allemands ont voulu par trois fois arrêter le préfet Gazagne et que les chefs de la Milice du Sud-Ouest réunis à Bordeaux avaient également décidé de l’arrêter fin juillet/début août 1944 « en raison de son activité résistante » (un peloton de gendarmes acquis à la Résistance était donc en permanence à la préfecture).

LA LIBÉRATION

Le 11 août 1944 à la réunion tenue à la mairie d’Averon-Bergelle (Gers) entre les différentes composantes de la Résistance (SOE, FFI, etc.) afin de préparer la Libération, le préfet Gazagne est représenté par Henry Mourer, secrétaire général de la préfecture.

Le 15, à l’occasion de la réunion mensuelle à la préfecture régionale de Bordeaux, il aurait rencontré les chefs de la Résistance des Landes pour préparer la Libération et constituer le Comité de Libération des Landes.

Le samedi 19, un peu avant 9h, à la préfecture, une entrevue réunit le préfet, le secrétaire-général, René Meyer (inspecteur des Renseignements Généraux, interprète et résistant), et le colonel Kummer, commandant de la place de Mont-de-Marsan. Celui-ci menace de représailles (destruction des bâtiments publics et de la base) en cas d’attaque par les « terroristes ». Le préfet propose d’envoyer des émissaires dans le Gers afin de ramener des officiers réguliers (alliés) pour négocier avec les Allemands. Molesini et Mourer partent donc vers midi pour Averon-Bergelle, dans la Citroën de la préfecture mais, retardés, ne reviennent que le lendemain vers 17/18h, accompagnés de 3 officiers parachutistes alliés et de leur sergent-radio, du « team Jedburgh Miles » parachuté le 17, dont le sous-lieutenant René Estève alias « Pierre Fourcade » du BCRA (le préfet souhaitait qu’un Montois participât à la Libération de la ville),

Un ultimatum non daté et non signé figure dans les archives de la préfecture, et il invite les Allemands à se rendre et est annoté par René Gazagne : il évoque la présence de « 5.000 hommes déjà à Mont-de-Marsan » et ajoute : « Ce chiffre dépassera 10.000 dans quarante-huit heures ». Cet ultimatum n’a sans doute jamais été communiqué aux Allemands, car ils vont mettre à profit le temps de réflexion demandé, et le retard dans le retour de la mission Molesini/Mourer pour s’enfuir vers le nord le samedi 19 après-midi et le dimanche 20.

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Août 1944 – Ultimatum aux Allemands – AD 40

Le 20 août le chef résistant Jean des Landes (second de Léon des Landes) installe son P.C. à St-Médard. Il se rend à la préfecture, où le préfet Gazagne l’informe que des Allemands sont encore en ville, et lui conseille d’attendre leur départ. Tard dans la soirée, M. Garat, chef de cabinet du préfet, informe Jean des Landes que les Allemands sont partis et que ses hommes pourront entrer dans Mont-de-Marsan le lendemain.

Le 21 vers 9/10h, les résistants entrent en ville, menés par Léon des Landes, Carnot, Claverie, Jean des Landes et le « team » Jedburgh. Ils sont accueillis par le préfet et le secrétaire-général. Gazagne pose au milieu des chefs de la Résistance sur le perron de la préfecture, défile avec eux jusqu’à la mairie, et les reçoit pour déjeuner.

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21 août 1944 sur le perron de la préfecture, Gazagne pose aux côtés des chefs résistants – Archives du CPRD

Le « team Jedburgh » se rend l’après-midi au Pont de Bats dans une voiture de la préfecture, les combats commencent, la voiture sera criblée de balles.

Le lendemain, dans Mont-de-Marsan libérée, à la demande du préfet, une section du Bataillon de l’Armagnac arrive de Nogaro afin d’assurer la sécurité de la ville, faire cesser les pillages et les tirs anarchiques.

Il aurait également facilité la prise en charge des 10.000 (sic) prisonniers coloniaux libérés, par des « cadres organisés par [lui] dans la clandestinité ».

Le 26 août, Charles Lamarque-Cando, président du Comité Départemental de Libération, certifie que « le préfet a toujours prêté son aide au maquis et aux patriotes quand ceux-ci le lui ont demandé. En particulier, il les a renseignés, ravitaillés. Il a facilité les transports et les liaisons, a eu des conférences avec les chefs du maquis et, par son action, a participé à la coordination des divers groupes ». Le 16 septembre, le commissaire de la République Gaston Cusin reprenant les termes de « Léon des Landes », précise que « des armes étaient entreposées à la préfecture de Mont-de-Marsan ». Mlle Goueytes, résistante, chef des services de la préfecture, membre du CDL, relate, le 2 septembre 1944 l’action de Gazagne dans la Résistance depuis mars 1943 et souligne son rôle essentiel pour arriver à l’unité de commandement de la Résistance à la veille de la Libération (il avait appuyé la désignation de Léon des Landes comme chef des F.F.I.).

APRÈS LA LIBÉRATION

Le préfet prévu par le GPRF d’Alger (Michel Debré) pour les Landes après la Libération était André Giberton (plus tard sous-préfet de Libourne et secrétaire général de la Gironde à la Libération), mais il avait été arrêté.

Le 21 août 1944 au soir, c’est Charles Lamarque-Cando (qui se trouvait ce jour à Bordeaux) qui aurait été nommé préfet par Gaston Cusin, commissaire de la République, mais il refuse.

C’est donc encore Gazagne qui est présent aux obsèques des victimes du Pont de Bats le 24… Il assure en quelque sorte l’intérim entre la Libération le 21 et la nomination de Chary par le Comité Départemental de Libération le 26.

Le 25 août, Lamarque-Cando, monté à Bordeaux, demande avec insistance à Cusin qu’un préfet soit désigné pour les Landes. Celui-ci lui répond qu’il nommera celui proposé à l’unanimité par le CDL. Il n’est apparemment pas encore question de Papon.

Le 26, le CDL se réunit et se met d’accord sur le nom de Paul Chary, ingénieur des Ponts et Chaussées en chef des Landes et authentique résistant, récemment libéré de la prison du Fort du Hâ à Bordeaux. En fin d’après-midi, constatant l’impossibilité de se rendre dans la capitale régionale (encore occupée par les Allemands) pour demander confirmation par Cusin, Léon des Landes (au nom du CDL) nomme Chary préfet, appelé vers 20h30 (cette nomination est illégale, mais le CDL la justifie par l’urgence et les circonstances, et entend la faire avaliser par Bordeaux).

Le 22 août 1944 par arrêté du même Gaston Cusin, Gazagne aurait été « suspendu de ses fonctions »(en application des ordonnances du GPRF) et Maurice Papon (secrétaire général de la préfecture de la Gironde depuis 1942) nommé « par ordre » préfet des Landes (son PV d’installation conservé à la préfecture est un faux rédigé a posteriori, Papon n’ayant jamais paru dans les Landes à cette date…). Mais les débats du CDL du 26 août ne mentionnent pas Papon… Son arrêté de nomination n’arrive à Mont-de-Marsan que le 5 septembre… On en déduit que Papon visait le poste de préfet des Landes, mais que, se rendant compte que sa nomination y serait mal accueillie, on a « bricolé » la solution suivante : Papon est nommé préfet, mais Chary est « chargé des fonctions de préfet » pendant la mission de Papon en tant que directeur de cabinet de Cusin.

Le Comité Départemental de Libération, dans sa délibération, et malgré les sommations des communistes qui réclamaient « l’arrestation » du Préfet (en raison de son action anti-communiste pendant l’Occupation), décide que René Gazagne, bien qu’il ne puisse bien entendu rester en poste, sera traité avec des égards en raison des services rendus  à la Résistance, non pas seulement dans les derniers jours de l’Occupation, mais depuis 1942. Cette délibération souligne les risques qu’il avait encourus.

Gazagne est ainsi seulement « mis en congé » par le CDL (sur sa demande, et « pour éviter tout malentendu », dit-il), comme Courtot plus tôt à Dax, et non destitué. Suspendu de ses fonctions, il est, le 1er septembre, « mis à la disposition du ministère de l’Intérieur » (Adrien Tixier) par Cusin, avec maintien de son traitement (le 6), en reconnaissance « de l’attitude courageuse de ce haut fonctionnaire pendant l’Occupation allemande« .

Le 19 septembre, René Gazagne fête son départ dans les salons de la préfecture.

Le dacquois Pierre Garat, directeur de cabinet de Gazagne (et ancien bras droit de Papon à la préfecture de la Gironde, aux Affaires juives, jusqu’en août 43) est quant à lui nommé par Léon des Landes pour assurer l’intérim de sous-préfet de Dax (à la place de Courtot). Le 1er septembre, chef de cabinet auxiliaire du préfet des Landes, il est nommé à Blaye, appelé par Papon.

Le 1er novembre, Gazagne est nommé secrétaire général du Secours Social (« Entr’aide française pour la Libération », ancien Secours National).

Il est placé en position « d’expectative » le 17.

Alors que 80 % des préfets de Vichy sont mis à la retraite d’office ou révoqués, Pierre René Gazagne est nommé secrétaire général du gouvernement général de l’Algérie le 26 février 1945, en poste au moment des émeutes de Sétif (mai 1945). Cette affectation provoque d’ailleurs une violente réaction du communiste Vital Gilbert, vice-président du CDL des Landes (et assigné à résidence en septembre 1941 par le préfet).

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AD 40

A ce poste, avec le préfet, il incarne la politique de répression du mouvement nationaliste algérien ordonnée par le gouvernement.

Il dispose en effet des pouvoirs de police que lui avait délégués le gouverneur général Chataigneau en avril 1945.

Officier de la Légion d’Honneur en 1946. Les importants états de services en faveur de la Résistance de Gazagne expliquent l’attribution de la médaille de la Résistance (décret du 3 août 1946). Il est homologué F.F.C., Réseau Hilaire-Buckmaster, Services comme capitaine F.F.I. du 6 juin au 30 septembre 1944.

Gazagne devient ensuite maire d’Alger en octobre 1947 grâce à l’appui de de Gaulle (il le reste jusqu’en 1953).

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Gazagne maire d’Alger lors d’une inauguration en 1950

Il prend sa retraite le 25 mars 1949. Il est alors fait commandeur de la Légion d’Honneur.

En mars 1951, à bord du croiseur Euralyus, en Baie d’Alger, le Consul Général de Grande-Bretagne lui remet la King’s Medal for Courage in the cause of Freedom, en présence d’un détachement des Royal Marines.

Il était également Grand cordon du Nichan Iftikhar, commandeur du Ouissam Alaouite, etc.

Il est décédé en 1984 à Paris.

Pierre Gazagne a été pendant plus de trois ans préfet de Vichy en zone occupée ; à ce titre il a fait appliquer les lois des gouvernements du maréchal Pétain.

Il a été aussi un authentique résistant qui a pris de gros risques et a joué un rôle important au moment de la Libération du département.

On peut relever deux constantes dans son attitude durant cette période : d’abord, de violents sentiments antiallemands et la volonté de défendre les intérêts français dans le cadre de la convention d’armistice. Ensuite, un anticommunisme virulent qui explique sa politique de répression et les réactions d’animosité des militants du PC à son encontre.

Gazagne offre donc le portrait d’un homme complexe avec ses ombres et ses lumières, comme cette période en a produit beaucoup (Christian Ernandoréna).


Sources :

AD 40, Fonds de la préfecture pendant l’Occupation (Série W)

PV et Compte-rendu sténographique de la réunion du Comité Départemental de Libération des Landes, tenue le 26 août 1944 à la préfecture (AD 40, 325 W 104).

« Dossier Gazagne » aux archives du CPRD (attestations diverses, de George Starr alias Hilaire, du Comité de Libération Départemental des Landes, etc.).

Dossier par P. Péré aux archives du CPRD.

Témoignage de Jacques Pélissier, chef de cabinet du préfet des Landes (communiqué par Jean-Pierre Brèthes)..

Baruch (M. O.) (coord.), Vichy et les préfets. Le corps préfectoral français pendant la Deuxième Guerre mondiale, IHEMI/La Documentation Française, Paris 2021 (extrait en ligne https://www.vie-publique.fr/files/2021-08/9782111456730_IHEMI_Vichy-et-Prefets_Extrait.pdf)