Moïse (dit « Maurice ») Cohen, électricien (puis tenant un commerce de pièces détachées de radio à côté de l’Ecole centrale de TSF) et son épouse Rivka dite Henriette Saltiel sont nés respectivement en 1906 et 1912 à Salonique en Grèce. Ils se marient en 1934 à Paris XVIIIe. Ils auront 5 enfants, Denise et Claudine, cachées dans les Landes, Angela, Nicole et Gérard.
La dernière adresse de résidence de Moïse est le 15, Rue Mazagran dans le Xe.
Roger Soubeste se souvient : « Tout a commencé un soir de 1942, lorsqu’une voiture s’est garée dans la cour de la ferme familiale…« , la maison Chantre, dans le village de Beyries, à huit cents mètres seulement de la ligne de démarcation.
La famille Cohen, composée du père, de la mère, et de la petite Denise, est entrée au hasard chez les Soubeste pour y trouver refuge. Inquiets, visiblement épuisés, ils sont accueillis avec chaleur, nourris, hébergés. Quelques jours plus tard, ils regagnent Paris. Les deux familles pensent alors ne jamais se revoir. Elles viennent en fait de se lier à jamais.
Mme Cohen doit en effet à nouveau fuire son domicile parisien à l’automne 1942, suite à l’arrestation de son mari (peut-être lors de la rafle des Juifs de Salonique le 5 novembre 1942…), échappant de peu elle-même aux Allemands. Enceinte avec une fillette de 2 ans ½ à sa charge, elle trouve refuge chez des amis jusqu’à l’accouchement, en février 1943.
Moïse est déporté depuis Drancy le 18 juillet 1943 par le convoi 57, parti à destination d’Auschwitz.
Recherchée par la police, Henriette Cohen doit quitter Paris précipitamment après la naissance de sa seconde fille, Claudine. Elle erre sur les routes de l’exode avec ses deux fillettes mais, traquée et épuisée, doit se séparer de Denise, qu’elle confie à ses parents dans la région de Brive en Corrèze.
Vers le mois de juin 1943 Mme Cohen et sa fillette, âgée de quelques mois, reviennent à la ferme d’Alphonse Soubeste, 53 ans, ancien combattant de 1914-1918, cité 3 fois, décoré de la Croix de Guerre et de la Médaille Militaire. Il y vit avec sa femme Marie, son fils unique Jean-Paul (dit Roger), 22 ans, et une des sœurs de Marie, Lucie Bédoura.
Selon Roger : « Une jeune femme dans une situation terrible demandait refuge, nous le lui avons offert, c’est tout ».
Mais Henriette s’inquiète car sa fille aînée, Denise, est cachée dans une région désormais en zone occupée, au milieu de nombreux maquis. Elle demande aux Soubeste d’aller chercher sa fille en Corrèze et de la ramener.
« On savait évidemment que c’était dangereux, qu’on risquait d’être fusillés si on se faisait prendre, sourit Roger. Mais à l’époque, on s’est dit qu’on n’avait pas le choix, qu’on ne pouvait pas être complices de cette situation. »
Les deux hommes partent donc la chercher en avril 1944, non sans péripéties : ils font en train les 300 km jusqu’à Brive, essuyant un bombardement à Toulouse. Ils sont transportés de l’hôtel de la gare de Brive jusqu’à un moulin près d’Albussac (au lieu-dit les Quatre Routes) dans le fourgon du postier, dissimulés sous les sacs de courrier. Denise est en effet cachée dans un maquis (son oncle maternel Lévi Saltiel y est résistant). Au retour, un brave chef de gare les fait passer entre deux patrouilles allemandes et ils rentrent au domicile familial à Beyries (via Orthez), transportés dans la voiture à chevaux d’un oncle de Roger, sains et saufs, avec Denise, qui retrouve sa maman et sa petite sœur.
Grâce aux Soubeste, les Cohen sont munies de faux papiers, et le maire de la commune fournit des tickets de ravitaillement.
En cas de danger, elles se cachent dans la grange de la ferme Chantre. Un jour les Allemands viennent au village, à la recherche de Résistants, Roger les envoie se cacher dans les champs de maïs (il risque lui-même de partir pour le STO).
Les Soubeste étaient au courant des risques qu’ils prenaient, mais ils étaient horrifiés par le sort qui était fait aux Juifs pendant la guerre et considéraient qu’il était de leur devoir de patriote de les sauver.
À Beyries, tout le monde sait que les Soubeste hébergent une famille juive, mais personne n’a parlé. « C’était un autre temps, ça nous paraissait naturel », avance Fernande, l’épouse de Roger Soubeste.
Les Cohen vécurent chez les Soubeste jusqu’à la Libération et trouvèrent en eux une nouvelle famille avec laquelle elles gardèrent des liens solides. M. Cohen eut la chance de revenir de déportation et retrouva ses proches qui avaient survécu grâce au courage et à la générosité des Soubeste.
Après la guerre, Denise passe encore trois ans à Beyries, alors que ses parents, Moïse (qui suit une longue convalescence) et Henriette Cohen, tentent de reconstruire une vie à Paris.
Roger Soubeste devient représentant de commerce pour le compte de M. Cohen. Denise et lui ne se perdront jamais de vue.
Maurice Moïse est décédé en 1990, Henriette en 1999.
Le 7 mai 2001, Yad Vashem a décerné à Marie et Alphonse Soubeste et leur fils Roger le titre de Juste parmi les Nations.
En janvier 2007, Roger a assisté à l’hommage rendu aux Justes au Panthéon, où une place lui avait été réservée tout à côté du président Chirac. Était présente également, Denise Cattan, née Cohen, qui a suivi des yeux « son Juste » tout au long de la cérémonie.
Les Justes
Alphonse Soubeste, agriculteur, né le 1er septembre 1889 à Bonnegarde, marié en 1920 à Beyries avec Jeanne Marie Bedoura, décédé le 10 octobre 1958.
Son épouse Jeanne Marie Bédoura, née le 24 décembre 1889 à Beyries, décédée le 21 avril 1975.
Leur fils Jean-Paul dit « Roger » Soubeste, né le 25 juin 1921 à Beyries maison Chantre, agriculteur, puis représentant de commerce pour le compte de M. Cohen, épouse en 1946 Fernande, décédé le 17 septembre 2010 à Arçais (79).
Retrouvez le témoignage de Roger en vidéo :