Élie Idia Halfon/Hafon, né en 1904 à Istanbul (Empire ottoman), arrive en France dans les années 1920 et il rencontre à Paris sa future épouse, Regina/Régine/Reina Mechoulam (née en 1903, arrivée de Turquie en 1905). Après la chute de l’Empire ottoman en 1923, quelque 70 000 Juifs de Turquie avaient choisi l’exil en Europe face à la montée d’un nationalisme qui les astreignait à un service militaire de 7 ans.
Mon père a quitté Istanbul pour rejoindre un oncle à Cuba. En escale à Marseille, il décide avec des copains de ‘monter’ à Paris, où il s’installe définitivement.
Pendant la Seconde Guerre mondiale et jusqu’en février 1945, l’État turc restera neutre dans la guerre contre l’Allemagne nazie, et les Turcs n’étaient pas considérés comme appartenant à un pays ennemi. Cependant, concernant les Juifs, Ankara avait déchu de leur nationalité ceux qui étaient à l’étranger.
Témoignage de Roland Hafon
Mariés en 1929 à Paris, Elie et Régine ont deux enfants : Sarah dite Odette, née le 21 mars 1932 à Paris Xe, et Roland, né le 4 octobre 1938.
Recensement de 1936 (Archives de Paris)
A la déclaration de la guerre, Élie exerce le métier de vendeur de tapis, et le couple habite dans le XIe arrondissement, au 95 de la rue des Boulets (aujourd’hui rue Léon Frot).
Les menaces
Nous habitions dans le 11e arrondissement de Paris (Nation, Bastille) et lorsque nos parents apprenaient qu’une rafle aurait lieu le soir-même, nous allions ma sœur et moi, passer la nuit chez l’un ou l’autre de nos voisins de palier pour être épargnés. Cela me donne l’occasion de rendre hommage à M. et Mme Crouzet, ainsi qu’à M. et Mme Gillebert. Le premier était policier et pouvait avoir quelques informations tandis que les seconds étaient des sympathisants communistes.
La famille Hafon en 1941 (Archives famille Hafon DR)
Il faut également avoir à l’esprit que personne ne connaissait l’existence des camps de concentration et d’extermination ; pas de médias pour le révéler, les Juifs pensaient qu’ils partaient pour des camps de travail en Allemagne, moindre mal ; une certaine fatalité régnait dans la communauté : où aller ? Sans argent pour nombre d’entre eux, tickets de rationnement, papiers d’identité inutilisables en cas de contrôle. Certains soirs, lorsqu’une rafle était ‘prévue’, nous couchions tous les quatre dans le lit de nos parents, habillés, prêts à être emmenés.
Saint-Sever
En 1943, devant l’augmentation de la fréquence des rafles, sur les conseils d’un de leurs amis, nos parents décidèrent de nous cacher dans le Sud-Ouest de la France, chez des connaissances :
Jean-Marie Lapeyre, 73 ans, veuf depuis août 1940, résidait à Saint-Sever dans le département des Landes, avec ses deux filles Nathalie et Germaine, et tenait l’épicerie de la rue Pontix.
Nous sommes partis en train, convoyés par une cousine, Mme Béhar, qui pouvait voyager sans danger pour elle car elle était protestante. Notre séjour a duré plus d’un an, jusqu’à la Libération quand les trains ont à nouveau pu circuler.
Les Allemands avaient une kommandantur à Saint-Sever. Celle-ci se trouvait seulement à quelques dizaines de mètres de l’épicerie de la famille Lapeyre. Voilà pourquoi nous ne devions pas éveiller l’attention et nous montrer très disciplinés (ma sœur avait l’habitude de dévisager les Allemands en poste devant la kommandantur…). Nous étions supposés être des petits cousins…
Roland et Odette Hafon – St-Sever été 1944 (Archives famille Hafon DR)
Nous étions scolarisés, allions à la messe tous les dimanches, et le soir, avant de dormir, nous récitions des prières dont la principale était : « revoir nos parents ». Nous leur écrivions quelques lettres adressées à notre concierge, Madame Hulot, qui les transmettait fidèlement.
Notre présence dans cette petite ville de France et qui plus est, dans une famille sans petits enfants, ne pouvait passer inaperçue. Les clients de l’épicerie, les voisins, le curé, les sœurs de notre école, tous devaient être dans la confidence…
La famille LAPEYRE a témoigné attention et affection aux deux enfants juifs qu’ils ont sauvés.
Leurs parents leur manquaient, et ils se souviennent que Nathalie les consolait fréquemment. Le soir, Jean-Marie leur racontait des histoires autour du feu, pour les distraire de leur sentiment d’abandon. Nathalie et Germaine se sont préparées à adopter les deux enfants si le pire devait arriver à leurs parents, mais heureusement toute la famille Hafon a survécu à la guerre.
Paris
Élie et Régine Hafon restent à Paris et parviennent à survivre en se cachant chez les uns et les autres.
Mon père travaillait de nuit dans une usine de nettoyage à sec de vêtements. Le 18 mai 1944, il a été brûlé par l’explosion d’une cuve de benzène. Pour l’hôpital, son patron l’a déclaré musulman, ajoutant que ses papiers avaient été détruits avec ses vêtements atteints par les flammes.
Au retour de mon père de l’hôpital, deux policiers français sont venus « chercher » nos parents à leur domicile. Il a fallu que ceux-ci les supplient, leur donnent le peu d’argent qu’ils possédaient en plus de quelques bijoux. Les policiers acceptèrent de les épargner à condition que nos parents quittent leur appartement sur la porte palière duquel la Gestapo devait apposer des scellés le lendemain. Ils déclareraient n’avoir trouvé personne…
Ne sachant où aller, nos parents se réfugièrent d’abord chez un couple de cousins dans le même quartier, mais le mari fut ensuite arrêté dans un café et déporté. En conséquence, nos parents revinrent dans leur immeuble mais chez une cousine sur le point de se convertir au catholicisme (elle devint carmélite) et qui leur assurait « qu’elle priait tous les jours pour qu’ils soient épargnés.
A la Libération, en août 1944 Élie Hafon revient chercher ses enfants.
Devoir de mémoire
Roland Hafon et des collégiens (DR)
Arrivé à la cinquantaine, j’ai pris conscience des risques considérables pris par notre famille d’accueil pour nous sauver.
La question que je pose est la suivante : Pourquoi avoir attendu tant d’années pour tenter de les revoir, de les remercier ?
Je n’ai pas de réponse précise. Je pense que notre silence et notre ingratitude peuvent s’expliquer par une combinaison de raisons : compte tenu des circonstances, notre séjour à St-Sever ne fut pas réjouissant ; beaucoup de contraintes, de peurs, de silences ont pesé sur nos origines ; une fois de retour, nous avons voulu oublier.
Notre sort d’enfants cachés n’est bien sûr pas comparable avec les souffrances vécues par les rescapés des camps d’extermination, mais un même voile de silence, souhaité par tous, s’en est suivi.
En 1988, les Hafon sont retournés à Saint-Sever afin de retrouver la famille Lapeyre.
Après des recherches auprès des commerçants, ils apprennent que Jean-Marie et Germaine sont décédés, mais retrouvent Nathalie.
Quelques minutes après, je vis une dame aux cheveux blancs traverser la rue, s’approcher de nous et me dire ‘Bonjour Roland, comment vas-tu ? Tu vois, personne n’a su que tu étais juif. Comment va Odette ?’ Nous avons fait en sa compagnie le tour de la ville : l’école, l’église. Ma femme lui a offert des fleurs. Ce fut une très grande émotion ; un regret, l’absence de ma sœur lors de ces retrouvailles.
Saint-Sever avec Nathalie Lapeyre (DR)
En décembre 2005, nous avons déposé auprès du Comité Français pour Yad Vashem un dossier visant à la reconnaissance de Justes pour la famille Lapeyre.
Le 4 octobre 2008, jour anniversaire de mes 70 ans, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem annonçait officiellement que les trois membres de notre famille d’accueil se voyaient reconnaître Justes parmi les Nations.
Cérémonie à Grenade : Mme Morlanne, Roland Hafon, Mmes Villena et Hafon et Pierre Dufourcq recevant le diplôme d’honneur (Crédit photo : Gérard Clery DR)
Leur nom figure aussi dans l’Allée des Justes du Mémorial de l’Holocauste à Jérusalem, ainsi que sur le Mur des Justes au Mémorial de la Shoah à Paris.
Une place de Saint-Sever porte leur nom depuis mai 2023..
La grand-mère de Nicolas Villena était la cousine germaine de Jean-Marie Lapeyre. Il témoigne :
Ce n’est que l’année dernière que ma famille et moi avons appris l’existence de cette histoire, lorsque Yad Vashem nous ont contactés concernant la remise du titre de Justes parmi les nations à mes aïeux. C’est un honneur d’apprendre que des personnes de ma famille ont fait une telle chose. Depuis la découverte de cette histoire nous avons une relation amicale avec Roland et Odette Hafon, les enfants de la famille sauvée. Je les ai déjà rencontrés une fois. Roland Hafon ainsi que son épouse, et sa soeur Odette Hafon, doivent venir fin avril pour se joindre avec notre famille, afin de déposer le diplôme des Justes au musée de la résistance de Grenade-sur-Adour. Je ne suis jamais allé en Israël. Ce voyage me permettra de découvrir un peu ce pays et voir de mes propres yeux cette terre dont on parle si souvent.
Régine Hafon est décédée en 1990, et Sarah Odette le 28 juillet 2019 à Paris XIIe.
.
Les Justes
Jean-Marie Lapeyre
Date de naissance : 25/03/1870 St-Sever
Date de décès : 05/09/1957 St-Sever
Epouse 24/10/1904 St-Sever Dominica Abadie Haurra (décédée en 1940)
André Schoengrun fut élève au lycée Duruy de Mont-de-Marsan entre 1912 et 1915. Devenu médecin à Paris, il est arrêté lors de la « rafle des notables » en décembre 1941 et déporté sans retour à Auschwitz en mars 1942. Retrouvez sa biographie ici : https://cprd-landes.org/biographies/andre-schoengrun-ancien-eleve-au-lycee-duruy-deporte-en-1942/
André Joseph Daniel Schoengrün (alias Schoengrun) est né le 3 janvier 1898 à Paris, 136 boulevard Magenta dans le Xe arrondissement, fils de Charles, (Polytechnicien, qui avait été attaché à la construction de la Tour Eiffel, puis inspecteur aux Chemins de fer du Nord), et de Jeanne Inès Léa Ulmo, mariés en 1897 à Mont-de-Marsan….
Ce 27 janvier 2025, 80e anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz, une cérémonie se déroulait devant le mémorial aux enfants juifs arrêtés dans les Landes et assassinés, pour la plupart, à Auschwitz-Birkenau. Des élèves du lycée Duruy, engagés dans un travail d’Histoire et de mémoire avec leurs enseignants, ont lu des textes…
Le Comité Français de la Libération Nationale est constitué à Alger le 3 juin 1943. Appliquant le programme du Conseil National de la Résistance, il publie un ensemble d’ordonnances ayant vocation à rétablir la légalité républicaine et à apporter des réformes économiques et sociales.
Dans les Landes, le rétablissement de la « légalité républicaine » ne présente que peu de particularités par rapport aux autres départements.
Installés à Mimizan-Plage au début de la guerre, Daniel et Christiane Kolm (Kohn), pédagogues aux idées modernes, créent une « colonie sanitaire » pour les enfants, où de nombreux enfants juifs seront cachés. Déplacée à Escource de 1943 à 1945, la colonie fonctionnera jusqu’à la fin du XXe siècle. Retrouvez leur saga ici.