A la mi-juillet 1942, avec la Rafle du Vél’ d’Hiv’, la persécution des Juifs, menée par les Nazis avec la complicité active de l’administration française, s’accentue. Dès lors, les tentatives de franchissement de la ligne de démarcation pour trouver un refuge, bien provisoire, en Zone non occupée, se multiplient.
Les enfants des Juifs arrêtés à Mont-de-Marsan et âgés de moins de 15 ans ne sont pas, dans l’immédiat, transférés au camp de regroupement de Mérignac avec leurs parents, mais placés à l’hôpital-hospice Lesbazeilles, confiés aux Filles de la Charité. Séparations déchirantes avec les parents, à l’instar de ce qui s’est passé pour les enfants de la Rafle du Vél’ d’Hiv’.
Le 30 juillet, le préfet des Landes indique au préfet régional que « le président de l’Union des Israélites de France a écrit à l’économe de l’hôpital-hospice pour lui demander de lui envoyer les enfants des Juifs actuellement dans son établissement ».
Mais Mérignac reçoit déjà dès ce moment de très jeunes enfants, en provenance de St-Palais ou d’Orthez, par exemple….
Les Allemands, suite à l’insistance des autorités françaises (Laval, Bousquet), qui ne voulaient pas s’encombrer de ces enfants, désormais orphelins, ont finalement donné leur accord pour que ceux-ci soient rejoignent leurs parents dans les camps français.
Dès lors les enfants, même très jeunes, suivent ou rejoignent leurs parents à Mérignac, antichambre de Drancy et d’Auschwitz. Au 15 août, ce sont 40 enfants de moins de 16 ans, en principe exemptés d’arrestation, qui sont internés à Mérignac (y compris des Français).
Les transferts de la prison de Mont-de-Marsan à Mérignac se succèdent toutes les semaines : 18 personnes le 17 juillet, 30 le 29, 13 le 4 août, 53 personnes les 11 et 12 août (dont les mères des enfants de Lesbazeilles). A Lesbazeilles, a-t-on eu vent du nouveau transfert à Mérignac prévu le 18, et qui va emporter 25 personnes, dont pour la première fois 8 jeunes enfants ?
De Berlin, le 12 août, le R.S.H.A. (Eichmann) confirme que les enfants pourront être déportés, mais indique qu’on commencera par les plus âgés (13 à 15 ans d’abord, puis 2 à 12 ans), et qu’ils devront être mêlés aux adultes dans les convois vers Auschwitz (il faut remplir les convois pour remplir les objectifs, tout en restant le plus discret possible !).
Toujours est-il que, face à la montée des périls, un certain nombre de ces enfants quitte l’hôpital-hospice, exfiltrés vers la Zone Non Occupée.
Entre le 10 et le 18 août, la petite Monique Gonigberg (5 ans) et sa mère disparaissent ainsi de Lesbazeilles (cachées en Dordogne, elles survivront), comme Claude et Marie-Rose Beilin (10 et 11 ans, qui se cacheront en Haute-Savoie) ou Lucien Bines (9 ans).
Soeur Agnès, mère supérieure de l’Hôpital-hospice, aurait facilité le départ d’un certain nombre d’entre eux (et hébergé la famille Ohlgisser, une mère et ses deux fillettes, qui avaient dû quitter St-Aubin).
Daniel Prync, 15 ans, arrêté en tentant de franchir la ligne de démarcation, « hébergé » à Lesbazeilles depuis fin juillet, est en revanche remis par les gendarmes français aux autorités allemandes le 11 août et incarcéré à la prison (il sera transféré à Mérignac le 18 et déporté sans retour). C’est peut-être ce qui a précipité la tentative de fuite des autres enfants vers la ligne de démarcation…
Les sources manquent, mais il semble qu’ils aient été arrêtés le 18 août à la Ferme du Pouy à St-Pierre-du-Mont (route de Grenade, à proximité du poste allemand, à 300 mètres environ de la ligne de démarcation), alors qu’ils attendaient un passeur pour franchir cette ligne…
Il est possible que le plus âgé, Robert Melendes, 11 ans (entré à Lesbazeilles le 7 juillet), ait été chargé de « guider » les plus jeunes :
Monique Ciolek, presque 3 ans (entrée le 13 juillet suite à l’arrestation de ses parents)
Hélène Gutter, 7 ans et demi
Bernard Edelstein, 6 ans et demi
Salomon Szwarc, 4 ans
Jacqueline Moszkowicz, 4 ans (entrés tous quatre le 8 août, suite à l’arrestation de leurs parents)
Selon Michel Slitinsky, qui a rencontré dans les années 80 un rescapé de la famille Melendès, c’est le père de Robert qui aurait organisé le départ des enfants depuis l’Hôpital-hospice Lesbazeilles.
Dans la matinée, un inconnu serait venu retirer les 6 enfants et les aurait conduits jusqu’à la ferme du Pouy.
Les 6 enfants sont cachés dans un bâtiment dépendant de la ferme (« dans un coin de la grange ou du hangar, en attendant le passeur ») et c’est là qu’en fin de matinée surgissent des policiers français (et gendarmes ?, alias des policiers français des Renseignements Généraux, et « deux agents de police de la Gestapo », alias six « mercenaires », sous la protection des Feldgendarmes, d’après M. Slitinsky) qui arrêtent les enfants, lesquels seront immédiatement livrés aux Allemands et acheminés dans l’après-midi au camp de Mérignac.
« Jacques Lescure, secrétaire du commissariat de police de Mont-de-Marsan, a témoigné (attestation sur l’honneur) avoir eu connaissance d’un rapport destiné au préfet dans lequel il était mentionné : ‘Plusieurs enfants de confession juive ont été interpellés au lieu-dit la Ferme du Pouy avec la collaboration des renseignements généraux et de la gendarmerie’ ».
Il y aurait un rapport de la Gestapo, qualifiant Robert Melendès de « chef de bande».
A noter que Baby Molho, 13 ans, arrêté la veille au soir à St-Sever en tentant de franchir la ligne de démarcation, incarcéré à la prison de Mont-de-Marsan, est transféré à Lesbazeilles le 18 à 13h15. Mais il ne sera transféré à Mérignac (par des inspecteurs français) que le 26 pour être incorporé dans le convoi du même jour à destination de Drancy…
Ce qui est certain, c’est que ce même 18 août l’arrivée des 6 enfants, envoyés « par la Feldkommandantur de Mont-de-Marsan » est notée sur les registres du camp de Mérignac. Maigre consolation, ils y retrouvent (à l’exception de Monique Ciolek) leurs mères.
Le même jour arrivent également à Mérignac 9 autres enfants juifs venus de Mont-de-Marsan, mais ils figurent sur une liste différente, ce qui montre bien le statut différent des enfants de Lesbazeilles.…
Le 8 août, à Bordeaux, Papon s’était enfin décidé à demander à Lüther (chef du KDS, la police de sécurité allemande) la libération des enfants de moins de 21 ans détenus à Mérignac, mais il est trop tard. Le 21, Doberschutz, chargé des « questions juives », confirme à Garat que tous les Juifs seront déportés, même les enfants.
En Gironde, les enfants juifs placés dans des familles ou des institutions sont ainsi arrêtés et amenés à Mérignac les 25 et 26.
Les « enfants de Lesbazeilles » sont transférés à Drancy ce même 26 août.
Par le convoi n° 26 du 31 août, Monique Ciolek, Bernard Edelstein, Salomon Szwarc et Jacqueline Moszkowicz sont déportés en direction d’Auschwitz où ils sont assassinés dans une chambre à gaz dès leur arrivée le 2 septembre.
Hélène Gutter et Robert Melendès sont quant à eux transférés le 1er septembre au camp de Pithiviers dans le Loiret. Mais le répit sera de courte durée, car ils sont déportés par les convois du mois de septembre.
« Les policiers ne sont pas venus par hasard à la ferme du Pouy, à l’époque isolée dans les champs. Il y a eu dénonciation (on n’ose croire que ce fut le fait du passeur lui-même…). Comment ne pas faire le rapprochement avec un épisode qui va se dérouler au même endroit 15 jours plus tard.
Dans la soirée du 2 septembre, un maquisard FTP, Oscar Martin, venu de La Rochelle, pourchassé par les Allemands (ceux-ci l’ont arrêté à la gare, mais il s’est enfui), va demander à manger au fermier du Pouy. Celui-ci refuse et envoie le lendemain son fils prévenir la gendarmerie. Encerclé dans les champs, Oscar Martin se donne la mort à l’endroit même où s’élève aujourd’hui l’école du Pouy (son corps est retrouvé le 4 septembre, à 300 mètres de la ferme) ».
Le 10 septembre le fermier, mettant en avant l’aide apportée, sollicite des Allemands la libération de son fils prisonnier de guerre en Allemagne. En octobre, il recevra du Commandant von Dessloch, de la Kommandantur de Biarritz, une lettre lui exprimant sa reconnaissance, et une prime de 1.000 frs pour l’aide apportée… (Archives des Landes, 285 W 73).
Le 21 août 1992, à l’initiative de l’ANACR, une plaque commémorative est installée sur un mur de l’école primaire du Pouy.
Le 28 avril 2014, une stèle est inaugurée rue de la Ferme, sur l’emplacement même de la Ferme du Pouy.
Sources :
Archives départementales des Landes
Archives départementales de la Gironde
Association « Mémoire de la Résistance et du Génocide des Enfants Juifs dans les Landes »
Résistance et déportation 1940-1944 dans les Landes par les stèles, les plaques et les monuments, de Gilbert Dupau et François Campa.