Jeanne Peyrebère de Guilloutet

Jeanne Peyrebère de Guilloutet

Bonne Marie Julie Jeanne Belliard, connue sous le nom de « marquise de Guilloutet », est née le 4 juin 1875 au château de Gajo à Sainte-Maure-de-Peyrac (Lot-et-Garonne, à la limite du Gers), fille de Jean Guillaume Emmanuel, propriétaire, avocat, et de Marie Agnès Magdeleine Marguerite Comin.

Elle épouse en 1894 Jacques Peyrebère (de Guilloutet), ingénieur agricole, châtelain (et maire) de Lubbon, commerçant (disparu en mer en 1920 lors du naufrage du paquebot « Afrique » au large des côtes charentaises, en route pour le Gabon. Il était accompagné de son amante, qu’il avait fait passer pour sa femme. C’est pourquoi sa veuve « a dû péniblement prouver qu’elle était l’épouse de M. Peyrebère ».). Ils ont un fils, Emmanuel, né en 1895, décédé en 1948, journaliste et traducteur, employé au Ministère de l’Information pendant la guerre (porteur d’un handicap).

Adhémar de Guilloutet (député des Landes) avait légué nom et titre à Jacques Peyrebère son petit-fils. C’est Emmanuel qui, le 31 juillet 1931, fut autorisé par le Conseil d’Etat à s’appeler: Peyrebère de Guilloutet, autorisation étendue à sa mère par le tribunal de Mont-de-Marsan (Emmanuel demeure alors à Wiesbaden en Allemagne).

Après la disparation de son mari, elle vend le domaine de Lubbon, et s’installe à Wiesbaden en Allemagne en 1923 pour le compte du ministère des Affaires étrangères, puis en 1930 à Salzbourg en Autriche et y loue un appartement dans la « maison-tour » de l’abbaye bénédictine de Nonnberg.

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L’abbaye de Nonnberg à Salzbourg (Source : Wikipédia)

Correspondante pour la presse française en Allemagne et en Autriche, elle est la fondatrice de la bibliothèque de Salzbourg.

Elle travaille pour le festival de musique, fonde un centre culturel français. Elle fut la première femme à enseigner à la faculté de théologie de l’université de Salzbourg à partir de 1930 (elle donne des cours de langue, culture et histoire françaises aux aspirants prêtres et au Centre d’éducation pour adultes).

La marquise « invente » une nouvelle méthode d’enseignement, en égayant ses cours avec des objets de sa collection, notamment un châle appartenant à l’impératrice Joséphine et un cabinet appartenant à Napoléon. Il n’est pas étonnant qu’elle ait « littéralement captivé un public d’élite » avec ses soirées de conférences dans le bâtiment d’études. Ses efforts pour faire connaître le Festival de Salzbourg dans de nombreux articles de journaux de son pays d’origine ont également été inlassables. Grâce à ses excellents contacts, elle a pu faire venir des artistes internationaux à Salzbourg.

De 1937 à 1939, elle sillonne l’Allemagne pour enseigner le français dans les associations “Kraft durch Freude” [1]Le mouvement appelé Kraft durch Freude (KdF, en français « La force par la joie ») était une vaste organisation de loisirs contrôlée par l’État nazi ; elle faisait partie du … Lire la suite, où elle semble remporter un certain succès. L’Institut (Français de Berlin) lui prêtait des livres et des diapositives.

Chevalier de la Légion d’Honneur au titre du Ministère des Affaires Etrangères,

En septembre 1939, à la déclaration de guerre, elle est expulsée d’Allemagne avec son fils. Ils s’installent début 1940 à Mont-de-Marsan, boulevard Delamarre.

Parfaitement bilingue, Molesini la recommande comme traductrice pour la préfecture, le tribunal et la kommandantur 541.

Toujours sur recommandation de Molesini, elle devient en 1941 présidente de la Croix Rouge des Landes et vice-présidente de la « Ligue du Coin de terre et du Foyer », elle est également « contrôleur de la prison » (française et allemande).

Elle est affectée au Service des Réfugiés, puis de l’Occupation à la préfecture. Durant toute la guerre, elle intervient sans relâche auprès des autorités pour améliorer le sort des réfugiés, des détenus de la prison, etc., répondant à des centaines de demande d’aide ou d’intervention (excédés, les services de police allemands refuseront même de la recevoir en 1943). Elle intervient par exemple pour Jeanne Grunberg ou la famille Gerbaez, mais aussi pour André Bergeron, la famille Randé, Renée Darriet, etc.

Elle donne aussi des cours d’allemand aux Français, et de français aux Allemands, et est chargée de cours à l’Institut Allemand de Bordeaux.

Le 21 août 1944, c’est ainsi elle qui accompagne à Bordeaux Lamarque-Cando pour négocier auprès des autorités allemandes la libération du fils de celui-ci.

En octobre 1945, elle retrouve à Salzbourg son domicile, qui avait été mis sous scellés (lorsqu’un avocat du gouvernement national-socialiste s’était présenté à l’abbaye bénédictine pour protéger les biens de la marquise, la rumeur avait dit que la marquise connaissait le Gauleiter Erich Koch, ou bien encore qu’elle avait traduit « Mein Kampf » en français…).

Après la fin de la guerre, elle reprend l’enseignement à la Faculté de Théologie.

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La marquise de Guilloutet à la fin de sa vie

Elle est alors déléguée artistique du Consulat de France à Salzbourg (1953-1956).

Elle est décédée le 9 décembre 1961 à Salzbourg et est inhumée en l’abbaye de Nonnberg, au cimetière St-Pierre. Sur sa pierre tombale fortement patinée avec une simple croix, on peut déchiffrer les mots : « Credo in vitam aeternam » – « Je crois en la vie éternelle ». (Tombe n° 56a entre la chapelle Marguerite et les cryptes du Mönchsbergwand).

jeanne peyrebere de guilloutet

Elle avait obtenu la Médaille de la Reconnaissance Française 1939-1945 et la Croix d’Honneur de la ville de Salzbourg.

A son décès, ses avoirs, s’élevant à 1,5 million de schillings permettent à la ville de Salzbourg d’utiliser ces fonds pour attribuer une « bourse interculturelle » à des projets artistiques et culturels. La marquise avait déjà légué de son vivant plus de 700 volumes à la bibliothèque, particulièrement précieux grâce à leurs dédicaces manuscrites.

« La marquise Jeanne Peyrebère de Guilloutet, née en Gascogne en 1875, a cru toute sa vie au pouvoir fédérateur de l’art et de la culture. Jusqu’à sa mort, elle a plaidé pour les échanges culturels entre les peuples au-delà des frontières politiques et géographiques.

Le Département de la Culture, de l’Éducation et du Savoir a développé un modèle actualisé d’attribution des fonds et propose depuis 2015 la bourse interculturelle biennale « Peyrebère de Guilloutet » d’une valeur de 3 000 euros.

Des prix seront à nouveau décernés à des projets artistiques axés sur l’intégration, les droits de l’homme et les activités socioculturelles qui regardent clairement au-delà de leurs propres horizons ».

Bibliographie

  • Une visite à l’École auxiliaire de Wiesbaden (1925)
  • L’Opéra slave sur les scènes allemandes d’aujourd’hui (1930)
  • Le guide français de Salzbourg (Etienne Garry) (1931)
  • “The” Romance of Salzburg. A New Guide to Salzburg, Its Festivals and Its Surroundings (1932)
  • L’Allemand pratique et simple (1943)
  • Salzburg et ses environs (1950)

Documents :

Sources :

Archives du C.P.R.D.

https://www.sn.at/wiki/Jeanne_de_Peyreb%C3%A8re

https://www.stadt-salzburg.at/index.php?id=52598

Autres sources

Autres sources
1 Le mouvement appelé Kraft durch Freude (KdF, en français « La force par la joie ») était une vaste organisation de loisirs contrôlée par l’État nazi ; elle faisait partie du Deutsche Arbeitsfront (DAF, Front allemand du travail) qui s’était substitué aux syndicats, dissous le 1er mai 1933