La déportation dans les Landes

Des centaines de personnes arrêtées dans les Landes ont été, pour des motifs divers (Juifs, résistants, etc.), déportées en direction des camps de concentration allemands ou des centres de mise à mort (plus de détails après les fiches biographiques).

Voir les fiches biographiques

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Les déportés juifs

Le bilan des arrestations de Juifs dans les Landes s’établit dans l’état actuel de nos recherches à 522 (c’est un chiffre minimum), effectuées entre septembre 1940 et avril 1944, dont 351 en Zone Occupée et 171 en Zone Non Occupée. L’écrasante majorité correspond à des arrestations pour franchissement (ou tentative de franchissement) de la ligne de démarcation (198 en Zone Nord et 134 en Zone Sud). Viennent ensuite les victimes de rafles, que ce soit en Zone Occupée (46) ou Zone Non Occupée (31), et enfin les infractions diverses, défauts de documents d’identité, défaut de port de l’étoile, ou sortie après le couvre-feu. Ils étaient ensuite, pour ceux de la Zone Occupée, regroupés dans les prisons de Dax, Bayonne, Mont-de-Marsan, voire Orthez, puis transférés au camp de Mérignac-Beaudésert, et ensuite à Drancy, avant leur déportation. Pour ceux de la Zone Non Occupée, ils étaient envoyés au camp de Gurs puis, après divers transferts de camp en camp, envoyés également à Drancy.

Plus de 200 des Juifs arrêtés ont été déportés sans retour vers les centres de mise à mort, pour la très grande majorité Auschwitz-Birkenau.

On observe, à la lecture des archives des Landes consacrées à l’Occupation, une véritable « listomanie » de la part des autorités préfectorales.

Ces listes répondent à des demandes de la part des autorités allemandes (ou françaises) et précèdent en général de quelques jours des opérations de rafle.

La première liste est établie à partir du recensement prescrit par l’ordonnance allemande du 27 septembre 1940. Celui-ci est réalisé pendant le mois d’octobre.

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Octobre 1940, recensement des Juifs des Landes (Archives départementales des Landes)

Les listes suivantes sont des mises à jour : départs clandestins pour la Zone non occupée, arrestations, décès, changements d’adresses, ou bien encore changement dans les critères/catégories, etc. C’est le cas en mars et septembre 1941, janvier et mars 1942 (mention des éventuels baptisés).

En juin 1942, la remise des étoiles jaunes est l’occasion d’établir un nouveau recensement, à un mois de la rafle du Vél’ d’Hiv’…

Début juillet, les préfets reçoivent les instructions allemandes visant à la première grande rafle de Juifs, les listes de juin sont donc mises à jour, et ces fonctionnaires les transmettent à la police de sûreté allemande par l’intermédiaire des commissaires de police français.

Les 14, 15 et 16 juillet, 10 Juifs apatrides ou étrangers sont ainsi arrêtés dans l’arrondissement de Dax  par la Gendarmerie et la Police Municipale : Frédéric Levi (arrêté dès le 14 à Rion), Hansi Abramovici, Henriette Blatt (libérée comme enfant), Georges Gheldman (libéré comme enfant), Hélène Isman, Hélène Iszak, Leja Lewin, Elisabeth Lurie, Serl Schachne, Ferry Schwarz (arrêtée le 15 à Vieux-Boucau).

Ils sont conduits à la prison de Dax pour être transférés à Mérignac le 17, avec une dizaine de Juifs qui étaient détenus à la maison d’arrêt de Mont-de-Marsan pour franchissement de la ligne de démarcation et avaient été transférés à Dax (des Français figurent parmi ceux-ci). A Mérignac, ils retrouvent ceux qui avaient été transférés depuis la prison de Bayonne (essentiellement le 16), dont 16 avaient été arrêtés dans les Landes.

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Les enfants des Juifs raflés, puis déportés, sont confiés à des familles (ou placés à l’hôpital-hospice Lesbazeilles à Mont-de-Marsan).

A partir de fin juillet-début août, les Allemands transfèrent de plus en plus aux Français la « gestion » des arrestations, détentions, transports, etc. (gestion du « Fichier juif », transferts à Mérignac en particulier).

D’un point de vue chronologique, les départs et tentatives de franchissement de la ligne s’intensifient, bien évidemment, après la Rafle du Vél’ d’Hiv’, dans la deuxième quinzaine de juillet et pendant tout le mois d’août.

Le 7 août 1942 est à cet égard un jour sombre, qui voit l’arrestation de plus de 40 Juifs dans les Landes, à Mont-de-Marsan bien sûr (en particulier à la gare), mais aussi en Zone Non occupée.

Le sort des enfants

En France, ce sont plus de 11.000 enfants de moins de 18 ans (dont 4.500 en province) qui ont été déportés et ont été assassinés dans les centres de mise à mort en Europe de l’Est (soit 15 % environ des 70.000 enfants juifs vivant en France avant la guerre). La moitié l’ont été au cours du seul été 1942

Dans les Landes, on en dénombre au moins une trentaine, dans leur grande majorité arrêtés avec leurs familles en tentant de franchir la ligne de démarcation.

Deux jeunes de 16 ans, l’un français né de parents français (Charles Melendès), l’autre naturalisée (Anna Salzmann), arrêtés début juillet 1942, sont transférés dès le 17 juillet à Mérignac via Dax, puis le 18 à Drancy (le préfet affirme pourtant s’être opposé « formellement » à l’arrestation des Français, même incarcérés). Ils y rejoignent les Juifs arrêtés lors de la Rafle du Vél’ d’Hiv’. Ils sont déportés à Auschwitz le 19.

A Dax, les enfants arrêtés le 16 juillet avec leurs parents sont libérés par les Allemands, qui ne veulent (pour l’instant) pas s’en embarrasser. Ils sont recueillis par des proches, des voisins (Georges Gheldman franchira la ligne de démarcation clandestinement le 28 juillet) …

A Mont-de-Marsan, où les arrestations sont nombreuses jusqu’au début du mois d’août, les enfants de moins de 16 ans sont placés à l’Hôpital-hospice Lesbazeilles (les autres, y compris un citoyen allemand de 15 ans ½ (Manfred Finkelstein), incarcéré, lui, à la prison de Mont-de-Marsan, sont transférés à Mérignac, qui reçoit dès fin juillet de très jeunes enfants, en provenance de St-Palais ou d’Orthez, par exemple…). Séparations déchirantes avec les parents, à l’instar de ce qui s’est passé pour les enfants de la Rafle du Vél’ d’Hiv’ (voir la fiche de Nicole Grunberg)…

Le 30 juillet, le préfet des Landes indique au préfet régional que « le président de l’Union des Israélites de France a écrit à l’économe de l’hôpital-hospice pour lui demander de lui envoyer les enfants des Juifs actuellement dans son établissement ».

Un certain nombre de ces enfants quitte l’hôpital-hospice, que ce soit de manière « légale » ou clandestine, exfiltrés vers la Zone Non Occupée.

Fin juillet les Allemands, suite à l’insistance des autorités françaises, qui ne voulaient pas s’encombrer de ces enfants, désormais orphelins, donnent finalement leur accord pour que les enfants soient déportés. Mais on commencera par les plus âgés (13 à 15 ans, puis, à partir du 13 août, 2 à 12 ans), et ils devront être mêlés aux adultes dans les convois vers Auschwitz. 

Dès lors les enfants, même très jeunes, suivent ou rejoignent leurs parents à Mérignac, antichambre de Drancy et d’Auschwitz (réponse allemande du 11 août à la demande, datée du 7, formulée par le préfet Gazagne).

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Extrait de « l’Album d’Auschwitz »

« L’instruction a pleinement démontré que les Allemands n’étaient pas intervenus au niveau du regroupement à Mérignac des enfants dont les parents avaient été arrêtés les 15 et 16 juillet 1942 en Gironde : outre l’examen des factures (de transport) à cette occasion, l’audition des personnes qui avaient la garde de ces enfants montre qu’ils ont été amenés au camp de Mérignac ou à l’annexe de Bacalan par les services de police ou un garde champêtre à l’instigation du Service des Questions Juives (de la préfecture régionale) le 25 août »

Procès Papon, arrêt de la Chambre d’accusation

Le 18 août, le piège se referme donc, et les 6 enfants qui restaient à Lesbazeilles, âgés de 3 à 11 ans, sont transférés au camp de Mérignac (avec 9 autres enfants). Les sources manquent, mais il semble qu’ils aient été arrêtés ce jour à la Ferme du Pouy à St-Pierre-du-Mont, alors qu’ils attendaient un passeur pour franchir la ligne de démarcation toute proche… (Robert Melendès, Monique Ciolek, Bernard Edelstein, Salomon Szwarc, Jacqueline Moszkowicz et Hélène Gutter).

La plupart des enfants arrêtés dans les Landes sont transférés de Mérignac à Drancy par le convoi du 26 août. Seuls sont exemptés les nourrissons (et leurs mères).

Le 31, ceux qui sont de nationalité polonaise, allemande, ou bien apatrides, sont déportés en direction d’Auschwitz où la très grande majorité sont assassinés dans une chambre à gaz (être français ne suffit toutefois pas toujours à éviter la déportation, 3 enfants français sont ainsi déportés par ce convoi…).

Les autres sont transférés le 1er septembre au camp de Pithiviers. Mais le répit sera de courte durée, car ils sont déportés, y compris ceux qui étaient français enfants de français, français par naturalisation ou par déclaration de leurs parents, par les convois du mois de septembre. On compte aussi une enfant raflée en Zone Non Occupée et livrée aux Allemands par le Gouvernement de Vichy (Myriam Neuburger).

Mais le 30 septembre, le préfet ordonne l’admission d’Henriette Blatt (recueillie par la famille Lartigau suite à l’arrestation de sa mère le 16 juillet à Dax) au préventorium « Le Nid Béarnais » à Jurançon, en Zone Non Occupée, le 18 octobre une rafle ordonnée par les Allemands, visant cette fois-ci nommément des enfants, et exécutée par les gendarmes français, reste bredouille, tous ont été mis à l’abri.

Une bonne vingtaine d’autres enfants seront hébergés, cachés, et donc sauvés par des familles landaises.

Justes dans les Landes

Non enregistrés à Yad Vashem :

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La poursuite des arrestations

C’est à Mont-de-Marsan (57 arrestations) ou dans ses environs (147) que se concentrent bien évidemment la majorité des arrestations pour tentative de franchissement de la ligne de démarcation (que ce soit avant ou juste après le passage). A Hagetmau et ses environs, important lieu de franchissement clandestin, on compte 126 d’arrestations. Puis viennent Dax et ses environs, avec 55 arrestations, Roquefort (19), Amou (9), toujours le long de la ligne.

Dax étant éloignée d’une trentaine de kilomètres de la ligne de démarcation, il semble qu’un certain nombre d’arrestation dites effectuées dans cette ville aient en réalité été réalisées entre Dax et la ligne (Hagetmau, Amou, Orthez…).

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Fin août, pour atteindre les engagements français envers les Allemands (« accords Bousquet-Oberg« ), la police française arrête en 3 jours plus de 7.000 Juifs en Zone non occupée, qui sont rapidement transférés vers Drancy. Le 26 août 1942, ce sont ainsi les 6 membres de la famille Neuburger, du grand-père à la petite Myriam (14 ans),  qui sont arrêtés à Grenade-sur-l’Adour.

A la mi-octobre, de nouvelles catégories de Juifs sont visées par le programme de déportation des Allemands (Belges, Hollandais, Roumains, Bulgares, Yougoslaves), et le 19 octobre, les policiers et gendarmes français répondent à la demande de la SiPo de Dax en arrêtant 13 personnes (11 arrestations dans l’arrondissement de Dax, 2 à Mimizan, 4 seront libérées le lendemain) : Hanna Aplowitz, Anna Beer, Zina Berlin, Estera Czamanski, Paul Frankfort, Lucie Klein, Otto Krauss, Salomon Rosenthal, Berta Schwartz, Moses Sigman, Stanislas Silbertstein, Genia Sloutchansky, Jeanne Stern.

Le destin des Juifs arrêtés (par les autorités françaises) en Zone Non Occupée est très différent de celui de ceux qui sont arrêtés en Zone Occupée. Ils sont en effet envoyés à Grenade-sur-l’Adour pour examen de leur situation, et la plupart du temps internés au Stadium de Pau, puis au Camp de Gurs. Une grande partie de ces personnes seront ensuite assignées à résidence dans diverses localités de la Zone Sud (en particulier à Lacaune dans le Tarn), voire libérées (la plupart survivront), ou bien encore affectées dans un GTE (Groupement de Travailleurs Etrangers), dans les Landes par exemple.

Suite à des attentats à Paris, les Allemands ordonnent des opérations de représailles, et il est prévu de déporter 2000 hommes juifs étrangers de 16 à 65 ans. Une rafle se déroule donc en Zone non occupée (Aire-sur-l’Adour, Lussagnet, Geaune, Gabarret, Villeneuve-de-Marsan, etc.) le 23 février 1943, et 25 hommes sont arrêtés dans les Groupements de Travailleurs Etrangers. Ils sont internés à Gurs avec 1700 autres et transférés les 26 février et 2 mars à Drancy : Michel Augenlicht, Jacob Cechman, Alfred Elias, Mendel Fajgeles, Maurice Fiszer, Toivi Flaischer, Bruno Frucht, Wolf Fuks, Chiya Gdanski, Abraham Gerbacz, Chil Grubsztajn, Mendel Herskovits, Marcus Kohn, Mendel Korcarz, Chaïm Kronengold, Joseph Lachter, Lyon Lenczner, Liber Muszynski, Lajb Myzskowski, Josef Sztajnberg, Alter Szychter, Abraham Szymanowicz, Albert et Georges Tennenbaum, Moszek Wolf.

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Carte des rafles de Juifs dans les Landes

Les mises à jour des listes des Juifs des Landes (de moins en moins nombreux), se succèdent en mars, mai et septembre.

Le 15 mai, ce sont les chantiers Todt du littoral (Tarnos, Labenne, Hossegor) qui font l’objet d’une rafle (22 « ouvriers israélites ») : Henri Broudo, Jean Rosenthal, J. Ruizman, Joseph Van Straaten, André Wagner…

En janvier 1944, le ciel s’assombrit à nouveau : à Vichy, Darnand est nommé au Secrétariat général au Maintien de l’Ordre, alors que les Allemands demandent les listes des Juifs (mises à jour) et ordonnent à l’intendant de police de Bordeaux l’arrestation de « tous les Juifs », et « sans considération d’âge ». Dans les Landes, ce sont 9 (ou 11) Juifs français qui sont arrêtés le 11 janvier par la Police allemande : Esther Gommes-Casseres, Gustave Gommes-Silva ?, Yvonne Janowski, Maurice Kievitch (enfui au cours de l’arrestation), Hélène et Jeanne Picard, Sarah Torres ?, Coralie, Marguerite et Marthe Weill, Suzanne Weill. Ils sont internés à Bordeaux, puis transférés le lendemain à Drancy.

Enfin, les 21 et 22 avril 1944, 10 Juifs sont raflés dans le nord-est des Landes à l’occasion de la gigantesque opération allemande de représailles visant les Chantiers de la Jeunesse/Groupements forestiers : Maurice et Pierre Chimène (fusillés), Joseph Heymann (fusillé), Léon Kahn (déporté à Neuengamme), Robert Lévy (déporté à Neuengamme), Benoît Rein (fusillé), Charles, Elise, Jacques et René Ullmo (disparus, très vraisemblablement assassinés).


Voir aussi :

La déportation dans l’Europe nazie

Autres sources